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galons d’argent à fleurettes roses, pauvre chambre de rêveur et de poète avec ses mille et un bibelots médités, voulus, mettant aux murs leur tache claire ou sombre ! Ce soir-là, elle m’apparaissait, cette chambre, encore plus follement sombre et plus étrange que tous les autres soirs.

Au-dessus du petit bahut hollandais à panneaux dorés, se découpant sur un vieux lampas cerise, un lot de verreries de Venise, une des manies de Claudius, tout opalisées de reflets, mettait ici dans un coin de la chambre comme un rayonnement lunaire, un clair de pierreries vivantes dans la nuit. À l’angle de la haute cheminée tout en glaces coupées de colonnes torses et drapée d’une nappe d’autel, une tête de femme, un buste Renaissance aux cheveux et aux lèvres dorés, aux prunelles d’émail dans une face en bronze vert, se dressait là sur un socle d’ébène, étrangement vivante sous un attifage de vieux broché rose pâle à feuillages bleuâtres, bizarrement coiffée d’un hennin pailleté, d’où coulaient, telle une eau, de longues gazes d’argent : dea silens, la dame du silence, comme Claudius l’appelait lui-même à cause de ses lèvres d’or.