Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rait et la gâtait avec cette pointe de galanterie qu’ont même pour leurs filles les anciens viveurs, l’enfant s’était toquée d’une belle passion pour la diva qu’elle avait tant de fois applaudie au théâtre. Douée d’une assez jolie voix, la fantaisie lui était venue, à cette petite, de prendre des leçons de la Barnarina : cette fantaisie d’abord contrariée était devenue un désir tyrannique, une obsession, une idée fixe, le marquis avait cédé, il avait un beau jour conduit sa fille chez la cantatrice : la pureté de ses mœurs autorisait la démarche. La Barnarina était reçue partout d’égale à égale et dans l’aristocratie russe et dans l’aristocratie viennoise, les premières aristocraties d’Europe. Le père s’attendait à un refus, mais voilà que l’enfant avec ses gentillesses de gamine, mi-grands airs de petite infante, mi-câlineries de menin amoureux, avait amusé, séduit et conquis la diva.

Rosario était devenue son élève.

Elle était sa belle-fille maintenant.

Dix mois après cette présentation, le marquis rappelé par son gouvernement à Milan pour être de là envoyé à un poste lointain, Smyrne ou Constantinople, avait voulu emmener sa fille ; la Barnarina n’avait point prévu cela. Au moment