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profil de vierge, comme nimbé d’or par des cheveux d’une nuance de blond telle qu’elle avait créé une Juliette, une Rosine et une Desdémona blondes, et que Paris, Pétersbourg, Vienne et Londres non seulement les avaient acceptées blondes, mais les avaient applaudies blondes et les avaient rappelées, réclamées toujours blondes, blondes quand même et blondes encore, et cela à cause d’elle, la Barnarina, qui, petite fille, avait couru jambes nues dans la steppe, mendiante ni plus ni moins que les autres gamines de son âge, et guettant avec elles les traîneaux et les troïkas un peu avant l’entrée du hameau, un pauvre petit village de cent âmes, trente moujiks et un pope !

Fille de moujiks ! et elle était aujourd’hui marquise, marquise authentique, quatre fois millionnaire, femme légitime d’attaché d’ambassade, inscrite au livre d’or des nobles de Venise et à la quatrième page de l’almanach de Gotha.

C’est que la fille de la steppe était demeurée, comme la steppe, indomptée et sauvage ; pas plus que la neige des joues, la neige de l’âme n’avait fondu chez la Barnarina : on n’avait ja-