Page:Lorrain, Jean - Sonyeuse, 1891.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’intuition ou de soupçon ?) un jour, au courant même de cette longue et dorlotante convalescence, j’eus cette intuition, cette bizarre et indéfinissable conscience d’un événement qu’on me cachait. Cette intuition, je l’ai eue plus d’une fois depuis dans ma vie, effet d’une sensibilité nerveuse et presque maladive, dont j’ai déjà souffert toute ma part de souffrances et dont je suis, j’en ai bien peur, encore appelé à souffrir ici-bas.

C’était un matin d’avril, la dernière semaine de cette convalescence qui tramait depuis deux longs mois ; le beau temps était venu, ma mère avait entr’ouvert ma croisée pour laisser entrer l’air tiède et renouveler l’atmosphère de la chambre : et encore très faible, les bras demi-brisés, mais voluptueusement las, je regardais de mon lit par ta fenêtre ouverte tout ce qu’on voit d’une ville de province par une fenêtre, des arbres, des clochers, des collines, des toits et des grands nuages de lumière cheminant dans un ciel matinal, tout assourdi des cloches en branle depuis neuf heures du matin.

Elles sonnaient un enterrement, ces cloches, et