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volonté, la main de possession de lord Mordaunt devenue la main brutale d’un bourreau.

Pendant trois nuits j’eus, distincte et présente, l’effroyable vision ; d’ailleurs ma fièvre avait du certainement empirer, car pendant quelques jours je perdis toute notion des personnes et des choses ; un continuel bourdonnement des tempes et de vagues ombres, ma mère et Héloïse, tournant silencieuses et graves autour de moi ; puis le léger bruit d’une petite cuiller au fond d’une tasse de tisane très sucrée, qu’une main me faisait boire à petites gorgées, tandis que par derrière la nuque une autre main me soutenait, voilà quelle fut ma vie pendant trois jours, huit jours que sais-je ! Combien de temps dura cela ! J’étais tombé dans un tel état de faiblesse et de torpeur que j’avais complètement oublié Sonyeuse et ses tragiques habitants ; j’avais dû prendre mal dans le courant d’air glacé de ce noir corridor, les pieds nus sur le froid des dalles ; d’où recrudescence de fièvre avec délire, hallucination et rechute ; rechute assez grave à en juger par les premiers mots dont le neuvième ou dixième jour ma mère assise à mon