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de l’emportement des hypothèses, il m’arrivait de saisir (tout enfant que j’étais) que ce lord et cette lady Mordaunt méritaient plus la pitié que le respect ; qu’ils ensevelissaient à Sonyeuse une liaison adultère et coupable, et ce mot d’adultère me faisait rêver : que la petite Hélène n’était pas la fille de lord Mordaunt et que la belle et mélancolieuse mère d’Hélène se mourait lentement dans cette villa isolée et de sa propre faute et de son amour ! Révélations que venait interrompre le régulier « Madame est servie » d’Héloïse annonçant le dîner, et l’irruption dans mon alcôve de ce vieux bavard de docteur Lambrunet se décidant à donner enfin sa consultation.

Ma mère était debout à ses côtés, projetant sur moi toute la lumière de la lampe dont mon père avait enlevé l’abat-jour ; cette fois on ne craignait plus de m’éveiller. Lambrunet me palpait, pétrissait entre ses doigts ma chair moite, mes bras maigres d’adolescent, m’examinait lentement les paupières, le rose des gencives et le tartre de la langue : « Anémie, toujours de l’anémie, concluait-il, en me tapotant les joues ; du quinquina et du