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Mais je m’oublie à remuer les cendres éteintes d’antan, la poussière de souvenirs d’enfance, et mon récit s’attarde et traîne. J’arrive au fait.

L’hiver même qui suivit notre rencontre avec les hôtes de Sonyeuse dans les futaies de Franqueville, le bruit se répandit dans la société que lady Mordaunt était grosse : ce bruit, né on ne sait d’où et fondé sur les apparitions de plus en plus rares de la jeune femme, le docteur Lambrunet interrogé ne prit pas la peine de le démentir ; si lady Mordaunt ne venait plus depuis deux mois à l’église, si on ne la rencontrait plus, même en berline, par les rues herbeuses et solitaires de la ville, c’est que sa santé, déjà si délicate, s’était altérée davantage : lady Mordaunt avait une grossesse des plus difficiles.

Condamnée à une immobilité presque absolue, elle vivait maintenant clouée sur sa chaise longue en l’adorante et continuelle compagnie de lord Mordaunt, qui ne la quittait plus : cloîtré dans l’espèce d’idolâtrie qu’il semblait avoir vouée à sa femme, cet Anglais remuant et passionné était devenu du jour au lendemain invisible : on ne le