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— Six chevreuils alignés dans un même rang et le père Lauzon tuera six chevreuils d’un même coup. On ne l’appelle pas quand même la-balle pour rien, le père Lauzon.

Mais entre toutes ces émotions, l’homme préférait celle que provoquait la course au gibier blessé, couteau en main.

— Quand on les saigne, ça se plaint comme un petit enfant. On dirait, ma foi, que ça vous supplie.

Puis, au comble de l’enthousiasme, comme pour bien signifier qu’un bon chasseur doit rester inébranlable devant la supplication, le père Lauzon qui s’apprêtait à couper une lanière, planta, d’un grand coup de bras, son couteau jusqu’au manche dans un interstice du plancher de la grange.

— Ah, maudit, si j’en tenais un… grogna-t-il.

C’était un matin où tout pouvait arriver, le père Lauzon qui en était là dans ses pensées, dut lâcher subitement son couteau.

Comme s’il lui eût suffi de désirer ardemment, un chevreuil venait d’apparaître, immobile dans le morceau de paysage qu’offrait la porte de la grange, le naseau tendu à la brise, et seulement à une portée de fusil.

Le père Lauzon eut un arrêt de tout son sang dans ses veines, et son cœur se remit à battre, effroyablement.

— Mon fusil, gémit-il.

Il n’eut qu’à étendre le bras pour se saisir d’un râteau accroché, par les dents, à un clou.

— Maudit, maudit, maudit, pleurait presque l’homme, en épaulant le râteau, si, sans seulement, c’était mon fusil.

Et le père Lauzon, tout en couchant en joue, se prit à penser fortement, plus fortement encore cette fois que s’il eût été en possession de son arme, jouant ainsi avec l’illusion.