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LES HOMMES FORTS



Il n’y a pas à dire, mais le moment venu, quand l’étranger, poussé à bout, troussa ses manches de chemise et qu’on aperçut la redoutable musculature de ses bras, plusieurs de ceux qui étaient là regrettèrent d’avoir trop parlé.

— Viens-y voir, toué, c’que c’est qu’une chenille à poils !

Et bondissant au milieu de la forge, poings serrés et prêt à frapper, le petit homme vint se camper sous le nez du forgeron, insolent.

Entre autres personnes venues pour gosser, il y avait là, Lusignan, sans pareil pour arracher des piquets fichés 4 pieds en terre ; Arseneau, le nouveau marié ; Potvin, pour qui c’est un jeu d’enfant de lever cinq fusils crosses en l’air, ses cinq doigts dans la gueule des canons ; Ménard, dit « la mâchoire », qui ne manquait jamais de couper une oreille à son adversaire d’un seul coup de dents ; et Godbout, l’homme de la poste, tous hommes forts et capables par conséquent d’apprécier à sa juste valeur la façon dont leur coq allait se conduire à l’égard de l’agresseur.

Le forgeron, un moment interdit, riva d’abord ses yeux féroces dans ceux du petit homme, puis, se ravisant il se retourna comme si de rien n’était et continua à frapper sur son enclume.

— Il en a peur ! souffla Ménard, consterné.

— Laisse faire, répondit Godbout, je le connais, tu vas voir !

En effet, de l’air de celui que n’en est pas à son premier coup d’essai en matière de joueur au plus fin,