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Ma’me Lafleur qui lessivait près de la fenêtre, vit venir le cortège et chavira sa cuvette de stupeur.

— Saints Anges du Bon Dieu ! hurla-t-elle, qu’est-ce qui est encore arrivé ?…

— C’est le Grand-Lafleur qu’à timber à l’eau pis qu’on l’a sauvé en passant par là ! annonça Alfred, de sa voix la plus grave.

Une fois au lit, le Grand-Lafleur dormit presque aussitôt. Ma’me Lafleur revint à la cuisine pour de plus amples détails sur l’affaire.

Alignés comme pour une leçon, les gamins durent expliquer longuement.

Bien que ma’me Lafleur dardât sur eux un œil méfiant, il y a à parier que tout se serait quand même bien passé ; sans ce damné de Tit’Thou qui gâta toute la sauce en échappant un de ses patins qu’il avait enfoui dans sa poche.

Ma’me Lafleur ouvrit alors la bouche de surprise et comprit du coup.

— Ah mes beaux menteurs, va ! C’est vous autres, hein ? qui l’avez entraîné là, pour patiner, malgré notre défense ! Ben, j’vas vous montrer, moué, c’que c’est que d’la glace neuve !

Vigoureusement empoignés par le chignon, les quatre gamins, terrorisés, attrapèrent simultanément la redoutable fessée de laquelle on sort toujours, une main posée à plat sur le fond de culotte, comme si les fesses trop enflées risquaient de choir.

— On d’i en rendra encore, des services, à lui, le Grand-Lafleur ! conclurent-ils, dehors.

Et les quatre gamins continuèrent leur route, sans même avoir au cœur le soulagement que tout fût fini ; car la nouvelle de leur escapade, doublée d’un mensonge allait sans doute se répandre et arriver aux oreilles des parents.

Dans la rue où ils s’engagèrent, de grands glaçons pendaient aux façades des maisons, les maisons avaient toutes l’air de grosses gueules de croque-mitaine.