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connaissait pas assez de bravoure pour endurer la fessée sans rien dire.

Et Tit’Thou qui se voyait déjà couché sur les genoux de sa mère, culotte basse, résumant l’appréhension commune, se mit à gémir.

— Mon Dieu… Mon Dieu !… C’est de ta faute, à toué, le Grand-Lafleur !…

De toute façon, il ne fallait pas apparaître au village, escortant le Grand-Lafleur. Comme on ne pouvait pas non plus délibérer plus longtemps, le frisson s’emparant du Grand-Lafleur on dut reprendre le chemin du retour, quitte à se séparer au haut de la côte.

On allait se laisser, piteux, quand le Grand-Lafleur qui n’avait encore soufflé mot trouva soudain le moyen de tout arranger.

— Je l’ai ! clama-t-il, projetant sa casquette par terre en signe de conviction. Le service que j’vas vous demander, expliqua-t-il, ça nous sauve tous ensemble. J’ai rien qu’à faire mon ben malade, mon quasiment-mort pis, vous autres, vous me rentrez chez nous… Vous m’avez trouvé en train de m’neyer, comme vous alliez à l’Anse-des-Morin pour voir si la glace de c’t’année était belle. Pas vrai ?… Vous passez pour des sauveteurs pis, tant qu’à moué, ma mère s’occupera pas d’autre chose, en me voyant, que de me soigner, ben contente encore que j’sois vivant !…

Stimulé du coup, chacun de reconnaître que le Grand-Lafleur n’était pas encore un fou. N’était-ce pas inespéré ?

— I sera pas dit, ajouta-t-il, que moué, le Grand-Lafleur, j’vous en aurai fait manger une !…

En vue de la maison, il fit alors jurer à ses camarades, en crachant par terre, qu’on ne se dénoncerait jamais, advienne que pourra et, se laissant empoigné par les quatre membres, il fit la tête molle où se renversèrent deux yeux mourants.