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— C’est un jeteux de sorts qui écrit une malédiction pour tout le village !…

Et, d’un commun accord, les deux gars se précipitèrent à plat ventre dans les grandes herbes bordant la route.

Suant à grosses gouttes, et n’osant bouger malgré les fourmis qu’ils sentaient leur monter le long de la peau, ils durent attendre, pour se montrer, que le jeteux de sorts fut non-seulement parti, sa maléfique besogne terminée, mais complètement disparu, au loin, dans la campagne.

Avec d’infimes précautions, ils s’approchèrent alors, tremblants.

C’était bien des lettres, et sur trois lignes d’inégales grandeurs.

— Ah ! fit Deric, si, sans seulement, j’avais apporté les lunettes de ma grand’mémère, j’pourrais t’le dire moué, de quoi c’qui y a d’écrit là !…

— Wohaha ! releva Tit’Fred, ayant peu à peu retrouvé la quiétude, j’voudrais ben savoir c’que les lunettes de ta grand’mémère pourraient te faire !… Tu sais pas plus lire que moué, casseau !

— Comment qu’tu dis ? Crés-tu que ma grand’mémère peut lire, elle, sans ses lunettes ? Pas en toute, mon vieux ! pis la preuve, c’est qu’à l’dit elle-même. « Sans mes lunettes, mes enfants, j’pourrais pas arriver à lire. »

Il y avait probablement à redire ; en tout cas, Tit’Fred jugea le moment peu propice pour la discussion. Empoignant sa casquette d’une main et le corps déjà projeté en avant comme un qui attend le signal du départ, il proposa ;

— Courrons au village avertir tout le monde !…

Et les deux petites paires de souliers de bœufs galopèrent longtemps sur la route.