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tout le monde que le père Tit’Charles est encore une jeunesse.

Le bambou, tout à coup, plia du faîte.

— En v’là un, pis un beau.

Et l’homme, décontenancé, embarqua une petite anguille.

— Bah, c’est peut-être pour ma chance, s’expliqua-t-il, en amorçant de nouveau.

Au bout d’une demi-heure, le père Tit’Charles avait pris sa huitième anguille.

— Eh verrat, finit-il par s’impatienter, c’est’i rien que pour ces serpents-là que j’attrape un bon mal de cœur ?

En effet, le père Tit’Charles Allaire commençait à sentir qu’on ne se fait pas sauter ainsi impunément.

— C’est ben maudit, mais j’cré que c’est pas l’heure du brochet à matin, s’avoua-t-il, de plus en plus déçu et mal à son aise.

Au fond de l’embarcation, les anguilles grouillaient désespérément. L’une d’elle s’enroula même à la jambe du pêcheur.

— Ah ben, vous autres, hurla le père Tit’Charles, vous n’êtes pas pour vous en mêler.

Et il se mit à frapper du pied de toutes ses forces le fond de son bac, pour écraser la tête des poissons, mais surtout parce que ses coups de pieds, passant au trépignement, marquaient sa colère et la pouvaient assouvir.

— Qu’est-ce qui te prend donc ? cria le père Arpin de la grève.

— Va chez l’diable, lança le père Tit’Charles, en continuant de frapper en cadence son genou droit se levant et s’abaissant comme pour faire tourner une meule.

La barque, qui était vieille, n’eut qu’un seul gémissement sourd et deux planches du fond cédèrent