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L’HEURE



Dans la cuisine où les deux hommes veillaient, la lampe faisait se tasser les ombres dans les encoignures, et l’oeil ardent de la porte du poêle illuminait le dessous de la table d’une lueur d’incendie. La bouilloire bruissait, on aurait dit la rumeur lointaine d’une ruche.

Ce n’était pas le désir d’être ensemble pour causer qui avait réuni ces deux hommes. Si l’on s’assemble pour rire, la douleur, aussi, est un faîte où les malheureux se rencontrent

Mais il avait fallu quand même causer. Ils avaient d’abord parlé, parlé beaucoup, comme on jette du lest, pour s’évader. Puis ils s’étaient tus, chacun pour faire croire à l’autre qu’il voulait allumer sa pipe, mais sachant bien qu’ils n’avaient plus rien à se dire.

Maintenant, seuls, les battements de la pendule restaient conscients entre eux. Maintenant, ils attendaient.

Mais l’on sentait qu’il eût fallu de peu pour que ces deux hommes se précipitassent l’un contre l’autre, l’oeil brillant, les poings crispés. Car la trop grande peine du cœur n’est pas à l’aise chez les êtres sains ; il faut qu’elle s’extériorise en action brutale. Donner un bon coup de poing c’est quelquefois, casser la gueule à sa propre peine.

Dehors la neige tombait lente et fine comme une poussière de craie.