Page:Loranger - Le village, 1925.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 13 —

ouvrir la porte de la cuisine, puis qu’on a été obligé de passer, par une fenêtre de deuxième, pour pouvoir tout déblayer.

Puis, par là-dessus, le vent s’est élevé. En tout cas, et en peu de temps, il n’y avait pas une route de practicable. Il fallait battre le chemin, à la grande scrépeuse, pour se rendre chez le voisin.

Il y a toujours du norouâ qui s’amène, dans une affaire de même. Puis quand je vous dis que le norouâ soufflait comme à soir, je conte une menterie, mes enfants. C’était pire qu’à soir…

Personne savait, au village, que Kenoche était parti, puis on a fini par trouver ça curieux que la cheminée du quêteux ne fumait plus, par un froid pareil. Vous comprenez bien qu’on est allé voir.

Il a fallu défoncer la porte.

Vous ne savez pas ce qu’on a trouvé, hein ? Bien je vais vous le dire, moé.

On a trouvé la maison vide. Sans blague, vidée à net…

La mère Kenoche trop malade pour sortir demander du secours, avait brûlé tous ses pauvres meubles ; tout ce qu’il y avait dans la maison… Puis on l’a trouvée morte, gelée dure comme une pierre de cimetière, couchée à terre, de tout son long, avec son enfant, à moitié nu, dans ses bras, gelé, lui aussi, comme elle.

Le pire, dans tout ça, mes enfants, et toutes les femmes du village en braillaient, tellement ça faisait pitié à voir, c’est que l’enfant tenait encore dans sa main un morceau de galette de sarrasin gelé. Tout ce qui restait à manger dans la maison…

Pauvre petit enfant… »

Le père Ménard s’étant tu, se leva pour verser un peu d’eau dans la bouilloire, car elle commençait à chanter. Et après avoir rallumé sa pipe, il garda un silence obstiné.