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Kenoche avait donc commencé par tirer du village tout ce qu’il put, pour ensuite, pousser plus loin, chez les voisins, sa randonnée de quêteux.

Il ne pouvait pas compter sur le village pour le faire vivre bien longtemps. Entre gens, d’un même village, on s’entr’aide, mais on ne se fait pas la charité. Et Kenoche, lui, n’était pas autre chose qu’un quêteux et qui ne savait faire que ça. Et puis, vous le savez bien, on aime toujours ça quand un quêteux vient de loin ; c’est plein d’intérêt quand on le fait jaser.

Toujours est-il, il partait de bonne heure, tous les printemps, avec sa femme et son petit enfant, dans une grosse waguine. Ça n’allait pas du train des chars je vous l’assure ; son vieux cheval ne pouvant pas trotter, rapport qu’il avait les pattes de devant trop raides. Je crois même qu’on avait le lui vendre bon marché, justement parce que c’était un cheval qui ne trottait pas, par conséquent, rien que bon pour un quêteux comme lui. Mais la belle saison permettait toujours, à Kenoche, de faire sa tournée au pas, et de revenir s’enfermer, pour l’hiver, dans sa maison juste à la première bordée de neige de la Sainte Catherine.

En tout cas, voici ce qui est arrivé. On a tous su l’affaire plus tard ; et si le quêteux ne l’avait pas racontée lui-même, on n’aurait, ma foi, jamais pu rien comprendre, tant c’est incroyable.

Un bon jour, du mois de janvier, rapport que la dernière tournée avait être mauvaise, Kenoche s’est aperçu qu’il n’avait pas de quoi vivre encore deux semaines. Mon dou, il aurait aller trouver monsieur le curé ou monsieur le maire, puis leur expliquer son affaire. Mais, vous savez bien, ce que c’est qu’un quêteux. Quand on dit, orgueilleux comme un quêteux, hein ? Il était donc trop fier. Puis, cet homme, pouvait-il en réalité, prévoir ce qui devait lui arriver. Non, en toute ! Ça mes enfants, ça ne se pouvait pas.