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LA NOROUÂ



Dans la cuisine, où la famille veillait, le poêle à deux fourneaux ronflait garni de grosses bûches. Dehors, le norouâ qui soufflait, depuis deux jours, s’engouffrant par une des portes mal fermée de la grange ; et Pit Godboult avait assuré, en entrant, que le thermomètre du bureau de poste marquait plus de quarante degrés.

— Quarante degrés ! avait répondu le père Ménard, en approchant davantage sa chaise du feu, c’est pas des farces, ça mes enfants.

Tous les soirs d’hiver la famille se réunissait ainsi au chaud dans la cuisine, où il était rare qu’on ne recevait pas quelques veilleux. Les nouvelles qu’ils apportaient étaient écoutées avidement et commentées, ensuite, avec lenteur, pour les faire durer plus longtemps, car il faut bien qu’on ait de quoi s’entretenir pour faire passer toute une soirée.¸

Codère, le plus assidu, car il venait pour le bon motif, s’asseyant à l’écart avec Èva, ce qui faisait infailliblement dire, à la mère Ménard qui passait pour avoir de l’esprit, que les amoureux n’ont pas besoin de la chaleur du poêle.

Mais ce soir-là, vers neuf heures, après que les enfants furent couchés, contrairement à l’habitude, la conversation, toujours si animée, tomba peu à peu, comme d’échelons en échelons, jusqu’à ce qu’on n’eût plus rien à se dire, tous les yeux fixés à terre. Les silences, de plus en plus prolongés, qu’emplissaient les pétillements du poêle et le vacarme sourd du vent, avaient un léger caractère d’angoisse.