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Lucindo.

L’argent est-il dans le vaisseau ?

Tristan.

Nos gens l’y ont transporté.

Lucindo.

Nous n’avons plus qu’à partir.

Tristan.

D’autant plus que la belle a une douzaine de vaillants à son service.

Lucindo.

Je voudrais cependant bien assister à la scène du désabusement.

Tristan.

Gardez-vous-en bien ! gagnons au contraire, et au plus vite, la haute mer.

Lucindo.

Ah ! Tristan, comme elle va crier, pleurer, se désoler !

Tristan.

Ne m’en parlez pas. Il me semble que je la vois d’ici, et je triomphe.

Lucindo.

Ô ciel ! accorde-nous un vent propice. Tu ne le refuseras pas à mon vaisseau ; car il va voguer sur les ondes chargé d’un butin plus glorieux que celui de la Toison d’or. Que l’on cesse de vanter l’argonaute Jason ; il a été vaincu aujourd’hui par Lucindo le Valencien.

Tristan.

Zéphyrs bénins, enflez de votre souffle ami les voiles de notre navire. J’ai hâte de me retrouver dans ma patrie pour y raconter mes exploits ; car j’ai attrapé aujourd’hui la plus rusée des femmes, j’ai tiré un habit de velours et cent ducats de Phénice !… Adieu ; demeure en paix, hameçon perfide, appât trompeur, pêcheuse de bourses, matou de notre chat ! Adieu, Circé, adieu, sorcière ; apprends à connaître Tristan !

Lucindo et Tristan sortent.
Camilo.

Je pense, en y réfléchissant, que nous ne ferions pas mal de retourner vers les bords de la mer.

Albano.

Oui, il faut qu’avant la nuit je voie le vaisseau dans lequel il est venu. J’y trouverai sans doute quelqu’un qui m’apprendra le nom de ce personnage. Je ne puis négliger cette affaire.

Camilo.

Vous avez raison. D’ordinaire l’offenseur écrit son injure sur le sable et l’offensé l’imprime sur le marbre ; tandis qu’au rebours celui qui a outragé un homme devrait sans cesse avoir sa propre injure présente à sa mémoire.

Camilo et Albano sortent.