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Entrent PHÉNICE et CÉLIA.
Célia.

Vous ne voulez donc pas me confier ce qui s’est passé ?

Phénice.

Ne me tourmente pas, Célia. Je ne veux pas qu’on me le rappelle, je ne veux pas qu’on nomme devant moi ce don Juan. Quiconque lui ouvrira ma porte ne la retrouvera plus ouverte une autre fois.

Célia, effrayée.

Jésus ! Jésus ! voilà Lucindo et Tristan !

Phénice.

Dieu me protége ! est-ce qu’il n’était pas parti ?

Célia.

Il sera sans doute revenu.

Phénice.

Pourquoi peut-il être revenu ?

Célia.

Il vient probablement pour son commerce ; il doit vous avoir oubliée.

Phénice.

Les hommes, Célia, sache-le, n’oublient jamais là où ils ont été maltraités ; il est, au contraire, dans leur honneur de s’obstiner quand on les dédaigne. Si je n’étais pas aussi irritée contre don Juan, je parlerais à ce pauvre jeune homme.

Célia.

Mais, encore, qu’avez-vous donc contre lui ?

Phénice.

Tais-toi, finissons. (À part.) Que pensera le capitaine ? Et en outre il m’a priée de dire qu’il avait eu mes faveurs.

Célia.

L’un et l’autre vous regardent.

Lucindo.

Ah ! don Félix, voilà celle qui cause ma colère.

Phénice.

Il faut absolument que je lui parle. (Elle s’approche de Lucindo.) Me reconnaissez-vous, seigneur Lucindo ? Que lisez-vous dans mes yeux ?

Lucindo.

J’y lis — Inconstance, légèreté et trahison[1].

Phénice.

Ceux qui sont les bien-venus dans un pays ont coutume d’embrasser leurs anciens amis qu’ils y rencontrent.

  1. Encore ici une grâce intraduisible. Elle porte sur le double sens du mot niña, qui signifie en espagnol la prunelle de l’œil et une jeune fille. Littéralement : « Que lisez-vous dans mes yeux ? — Je dis qu’il y a des fillettes d’une humeur si bizarre, que le moment où elles donnent le moins d’espérance, c’est après la possession. » À cause que Phénice est entrée en possession de l’argent de Lucindo.