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Tristan.

Le salon d’une courtisane est une véritable cour de justice. Elle a ses heures d’audience, elle prononce, elle juge. Vous y verrez les avocats, les notaires, les solliciteurs. On lui envoie des dossiers, on lui glisse des présents. Elle a des procès en instance et d’autres en appel : et elle met les prétendants hors de cour ou les écoute, selon qu’ils ont du crédit ou qu’ils apportent de l’argent.

Lucindo.

Quel est donc cet Espagnol qui fréquente sa maison si assidûment ?

Tristan.

C’est, j’imagine, l’ami du cœur.

Lucindo.

Que suis-je donc alors, moi ?

Tristan.

Vous, vous êtes l’autre.

Lucindo.

Tu es bon là !… Comment ! Phénice ne songe qu’à moi du matin au soir, elle me comble de caresses, elle m’accable de prévenances, et ce n’est pas moi que son cœur préfère !

Tristan.

De quel pays venez-vous donc ? Ne savez-vous donc pas qu’il y a des cœurs qui contiendraient jusqu’à deux ou trois cents amours sans en être embarrassés ? Et quand vous voyez une brave dame qui écrit à trente amants, qui en reçoit autant chez elle, qui demande à l’un une basquine, qui emprunte à l’autre son carrosse, qui héberge celui-ci, qui visite celui-là, — il faut vous dire que cette brave dame a un cœur bâti à la façon d’un grand monastère, où il y a un dortoir plein de cellules auxquelles on arrive par une seule et même porte.

Lucindo.

Quelle folie !… Laisse-moi dire un mot à mon rival. (Il s’approche de Dinarda.) Je désire vous parler, seigneur cavalier.

Dinarda.

C’est un plaisir pour moi qui vous suis entièrement affectionné. Mais si, par hasard, il s’agit de la jalousie que vous me portez à propos de Phénice, je vous prie de vous tranquilliser à cet égard ; je vous garantis sur l’honneur que je ne songe nullement à la courtiser. — Quand retournez-vous en Espagne ?

Lucindo.

Je compte rester ici encore un mois. J’ai terminé les affaires qui m’avaient amené en ce pays, mais mon amour me retient captif.

Dinarda.

Quoique je sois Sévillan, je m’en irai avec vous jusqu’à Valence. Je veux, avant de retourner dans mon pays, me présenter à la cour et demander la récompense de mes services.