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Citron.

Je ne sais, monseigneur, si le ciel est un échiquier à étoiles, ni si l’aube est une dame blanche et rose, ni si la nuit est une dame noire contre laquelle l’autre gagne tous les matins sa partie… Voici ce que je dis : à peine le marchand d’orviétan chantait-il dans les rues son électuaire d’une voix plus forte que celle du rossignol, mais pas si agréable ; à peine le noir grillon faisait-il entendre son cri enroué ; à peine certains vases de nuit commençaient-ils à se montrer sur les lucarnes, quand j’ai vu la charmante Inès qui étendait la main tant qu’elle pouvait par la fenêtre, et qui me présentait ce billet.

Don Juan.

Ne vois-tu pas qu’il est difficile de dormir quand on aime ?

Citron.

Mais vous, qui aimez-vous ?

Don Juan.

Je l’ignore ; mais je sais que l’Amour est un dieu bien puissant.

Citron.

Quand on n’a point vu une dame, je comprends encore et j’admets qu’on l’aime sur sa réputation. Mais vous, vous n’avez pas même cette excuse.

Don Juan.

Qu’importe ! là n’est point le mal. — Mon plus grand ennui est de penser qu’elle est la maîtresse de don Louis.

Citron.

Eh bien, demandez-lui qui elle est.

Don Juan.

Et ensuite, quand il me l’aura dit, et qu’il m’aura fait ses confidences, qui pourra m’excuser auprès de lui d’aimer sa maîtresse ?

Citron.

Il est vrai qu’après la liaison qui existe entre vous il aurait peut-être le droit de n’être pas content.


Entrent L’ALCAYDE, LÉONARDA et INÈS.
L’Alcayde.

Don Juan est seul… entrez.

Léonarda.

Permettez que je lui parle un moment.

L’Alcayde.

Vous vous occupez, madame, du plus honorable gentilhomme qui soit jamais entré en prison.

Il sort.
Don Juan.

Qu’est ceci ?

Citron.

C’est Inès, ou son ombre[1].

  1. El duende de Ines.