Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/321

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en entrant ici je ne sais quel éblouissement. Inès m’avait beaucoup vanté votre personne.

Citron, à Inès.

Reine de mon cœur, jolie nymphe du Tage, viens un peu par ici pour les laisser causer en paix.

Citron et Inès se retirent vers le fond du théâtre.
Don Juan.

Pourquoi, madame, ce brillant soleil se couche-t-il derrière le nuage de cette mante ? et comment un corps si léger peut-il le cacher à mes yeux ? Mais vous êtes comme la foudre qui renverse ce qui est fort et puissant, et pardonne aux objets les plus faibles. Ayant résolu ma mort, vous traversez, sans l’endommager, ce tissu délicat, et vous embrasez mon cœur ; et si vous produisez un tel effet avec un seul éclair parti de vos yeux, ne dois-je pas penser que vous me réduiriez en cendre si vous veniez à découvrir ces deux astres étincelants ? Mais n’importe ; dussé-je y périr, je vous supplie, madame, de vouloir bien les découvrir, afin que vous voyiez quel est votre pouvoir. Et permettez aussi que j’admire cette bouche céleste, — nacre sans tache qui renferme des perles charmantes, et qui doit prononcer ma sentence.

Léonarda.

Don Juan, lorsque je vous écrivis que je vous avais vu, je ne disais pas la vérité. Je vous ai vu ici pour la première fois ; et cependant avant de venir ici je vous aimais. La renommée vous a dépeint à moi d’une telle sorte que j’en ai perdu la liberté. Eh bien, vous l’avouerai-je ? ce que je vois est au-dessus de ce que j’avais imaginé ; je ressemble à ces peintres sans talent qui, en cherchant l’idéal, ne savent pas même s’élever à la beauté de leur modèle… Tout ce que je vous ai écrit jusqu’à ce jour était sans valeur tant que je ne me montrerais pas à vous. Il vous fallait une caution, une garantie. Je suis venue vous l’apporter.

Don Juan.

Eh bien, madame, je ne vous demande qu’une seule grâce, c’est de vous découvrir.

Léonarda.

En ce moment c’est impossible ; mais je vous donne ma parole que ce sera bientôt.

Don Juan.

Quelle cruauté, madame !… comment avez-vous le courage de me refuser cette consolation ? Vous êtes comme les divinités du ciel : il faut croire en vous de confiance. Mais on m’a accordé la permission de sortir cette nuit ; pourrai-je aller à votre maison ?

Léonarda.

Oui, vous pourrez, — sous un déguisement, — me parler par une fenêtre du rez-de-chaussée.