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Dorothée.

Ah ! que n’est-elle à ma place !… Devais-je être ainsi victime de l’inconstance d’un ingrat ?… N’ai-je pas assez fait pour lui ?… Je n’y tiens plus. Approchons-nous du balcon… Il devinera que je l’attends, et sans doute il viendra. Son silence même prouve que tel est son projet… La meilleure réponse qu’il puisse me faire, c’est de venir en personne.

Elle sort.



Scène V.

Dans la rue. La nuit.


Entrent DON JUAN, LÉONEL et CHACON.
Léonel.

Voici, seigneur don Juan, la maison de Marcèle.

Chacon.

S’il faut vous parler franchement, je voulais vous emmener chez votre Belle, croyant vous complaire en cela ; car vous autres, messieurs les amants, vous aimez à vous faire prier pour les choses que vous avez le plus à cœur ; mais puisque l’infant s’est établi chez elle, et qu’il a publiquement pris possession de sa maison, je dis que vous ne devez plus la voir, ni même prononcer son nom.

Don Juan.

Je suis dévoré de jalousie… Il faut dissimuler… Ô ciel ! donne-m’en la force !


DOROTHÉE paraît au balcon.
Dorothée.

Voilà trois hommes dans la rue qui regardent de ce côté. — Ou c’est mon cœur qui m’abuse, ou c’est bien lui, c’est don Juan que je vois… Oui, c’est lui, et toujours tourmenté par sa folle jalousie, il craint de m’adresser la parole.

Don Juan.

Allons, de la résolution. Amour, me voici dans le champ… Que le taureau meure par un stratagème… Cède, beauté ingrate, cède la palme à la divine Marcèle.

Chacon.

C’est bien, jouez de votre reste ; et mettez tout votre enjeu en avant.

Don Juan.

Ô Marcèle ! si vous m’avez entendu, ouvrez ce balcon et daignez écouter l’homme qui vous adore.

Dorothée.

Ah ! malheureuse, c’est bien lui ! Épris de Marcèle, il croit lui parler ; car il ignore sans doute que je l’ai remplacée dans cette maison, et c’est elle qu’il y vient voir. — Eh bien, feignons que je suis Marcèle, et de cette manière éclaircissons tous nos doutes.