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est encore à traiter, la loi qui a rapport à l’argent non compté conserve sa force[1].

Lucindo.

Ici, Tristan, personne n’use de force envers moi, personne ne me contraint, personne ne m’a mis le poignard sur la gorge. Si je lui ai promis de la suivre, c’est seulement parce que sa beauté m’a ravi. Du reste, il peut bien se faire qu’elle soit une dame principale ou une demoiselle illustre.

Tristan.

Pour demoiselle illustre, j’ose vous garantir que non ; car elle doit avoir perdu son lustre[2].

Lucindo.

Eh bien ! admettons que ce soit une dame principale : que risqué-je à la servir ?

Tristan.

Une dame principale près de la mer, seule avec une suivante !

Lucindo.

Pourquoi pas ? elle aura pu sortir pour voir, pour prendre l’air.

Tristan.

Laissez donc ! elle sera sortie pour pêcher, vous dis-je, ou pour grappiller, ou pour glaner.

Lucindo.

Et que chercherait-elle avec moi ?

Tristan.

Je l’ignore, mais je crains tout de sa mine rusée.

Lucindo.

Crains-tu qu’elle me prenne mon argent ?

Tristan.

Peut-être bien ; je n’en serais pas étonné.

Lucindo.

Je n’en ai pas. Je n’en aurai que quand j’aurai vendu ce que j’apporte en Sicile, et je n’ai pas encore vendu.

Tristan.

Voilà un raisonnement victorieux ! Et si vous le lui donnez après ?

Lucindo.

Je ne la verrai pas, — après.

Tristan.

Eh bien ! marchons. Mais j’ai peur que vous ne laissiez entre ses mains l’argent que vous avez sur vous.

  1. La fin de ce couplet prêterait à de longs commentaires. Nous n’abuserons pas. — La collection des lois de Toro est célèbre en Espagne ; mais ici évidemment le poëte ne rappelle ces lois que pour placer en regard les mots toro (taureau) et bueyes (des bœufs), lesquels prêtent en espagnol à toutes sortes de plaisanteries d’un goût plus ou moins délicat. — Quant à l’article de la loi relative à l’argent non compté, Tristan veut dire que tant qu’on n’a pas donné son argent le marché n’est pas conclu, et que, par conséquent, son maître peut se retirer. — Enfin je soupçonne qu’il y a quelque plaisanterie mystérieuse cachée sous le mot fuerça, force, violence.
  2. Nous avons reproduit exactement un jeu de mots qui se trouve dans l’original.