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LA BELLE AUX YEUX D’OR.

(LA NIÑA DE PLATA[1].)

NOTICE.


Une jeune fille d’une rare beauté et d’un esprit charmant, qui résiste aux séductions d’un prince jeune, aimable et généreux, et finit par épouser le cavalier qu’elle lui préfère, tel est le sujet de la Niña de plata. Cette donnée, qui pouvait être assez nouvelle au théâtre dans les premières années du dix-septième siècle, a été depuis traitée bien souvent. Toutefois, comme les grands artistes ont le privilége de doter d’une éternelle jeunesse les productions de leur génie, on trouvera dans la pièce de Lope une fraîcheur de coloris qu’on chercherait en vain dans des productions beaucoup plus récentes.

La composition de cette pièce nous semble fort bien conçue. Nous en aimons surtout les deux premières journées, quoique la péripétie de la troisième nous paraisse fort heureuse. On remarquera sûrement dans la première, la scène de l’entrée des princes à Séville, et celle de la visite du roi et des infants à Dorothée. Dans la seconde il y a deux situations charmantes : celle où don Juan, croyant recevoir les gages d’amour qu’il avait donnés à Dorothée, trouve à sa grande surprise et à sa grande joie dans le coffret les présents qu’elle a reçus du roi et des infants ; et celle où il rend le coffret la nuit, par la fenêtre, à Dorothée, en croyant le donner à Marcèle. La prédiction du Maure, bien qu’un peu épisodique, est d’un effet saisissant.

Dorothée, la Belle aux yeux d’or, me semble peinte avec une exquise finesse. Quoique fort sage, elle a de la coquetterie. Entourée d’admiration, elle trouve une sorte de plaisir à provoquer les hommages pour s’en jouer. Don Juan, son amant, a une distinction d’esprit et de sentiments qui le recommandent au choix d’une jeune fille d’un si haut mérite. — Chacon, avec sa poltronnerie fanfaronne, est fort bien imaginé. — Mais un personnage sur lequel j’appellerai l’attention du lecteur, c’est le roi don Pèdre. Ce roi don Pèdre est celui que les Espagnols ont surnommé le Justicier (el Justiciero), et que nos historiens français ont surnommé le Cruel. Lope le représente à une époque antérieure aux dissensions qui armèrent les deux frères l’un contre l’autre ; mais on voit dans ce prince les instincts qui lui ont mérité un surnom sévère. Il serait curieux de comparer le don Pèdre de Lope, tel qu’il l’a peint dans la Niña de plata, et dans cinq ou six autres de ses comédies[2] avec le don Pèdre de Calderon[3]. Le don Pèdre de Lope nous paraît plus

  1. La Niña de plata se traduirait mot à mot la fille d’argent ; seulement il faudrait faire observer que le mot espagnol niña signifie tout à la fois (comme le mot grec korè) une jeune fille et la prunelle de l’œil. Nous avons traduit ce titre aussi fidèlement qu’il nous a été possible.
  2. Il entre dans notre plan de traduire encore plusieurs des comédies de Lope où figure le roi don Pèdre, notamment Le certain pour le douteux (Lo cierto por lo dudoso).
  3. Voyez le Médecin de son honneur, et la pièce intitulée Les trois justices en une (Las tres justicias en una). Nous nous proposons de publier la traduction de celle-ci dans quelqu’une de nos prochaines livraisons.