Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jacob.

Seigneur ?

L’Ange.

Ne crains rien. Je te ferai grand entre les nations.

Jacob.

Votre serviteur s’incline devant vous. (L’Ange remonte vers les cieux au son de la musique.) Attendez, mon seigneur, attendez ! (Il s’éveille.) Il a disparu !… Qu’ai-je entendu ?… C’est Dieu même qui a parlé, et qui m’a conseillé de partir pour l’Égypte. — Eh bien ! partons. — Adieu, terre de Canaan, adieu ; je vais voir mon Joseph, puisque Joseph est vivant. Et en effet il devait vivre encore, puisque moi-même je vis.

Il sort.



Scène V.

À Memphis, dans le palais.


Entrent JOSEPH et NICÈLE.
Nicèle.

Je te supplie de m’accorder cette grâce.

Joseph.

Pourquoi me parler ainsi, Nicèle ? Oublies-tu que j’ai été ton esclave, et que tu me commandais ?

Nicèle.

Lorsque je me souviens, mon seigneur, de ma coupable conduite envers toi, je ne me vois d’autre excuse que l’amour.

Joseph.

L’amour excuse tout[1].

Nicèle.

L’amour seul pouvait inventer un si cruel mensonge, et une femme seule pouvait le prononcer. J’en suis confuse, je m’en repens, et je t’en demande pardon, si l’innocence calomniée peut pardonner une telle offense. Tu songeras que je suis femme et que j’aimais… Mon époux est l’un des généraux de Pharaon, et il a pour toi beaucoup de zèle.

Joseph.

Je n’ai qu’un mot à te répondre, Nicèle : j’ai été ton esclave.

Nicèle.

À présent, c’est nous tous qui sommes les tiens.

Joseph.

Je ne suis point de ces hommes que la faveur éblouit, et à qui une grandeur inattendue fait perdre le souvenir du passé. Les états, les empires ont, comme toutes les choses humaines, leurs commencements, leur accroissement et leur décadence, et l’on ne peut pas compter sur les rois. Aujourd’hui je suis ; demain je puis

  1. Todo es disculpas amor.