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pendu en nous entendant. « Hélas ! a-t-il dit, si vous m’enlevez celui-ci, j’aurai perdu aujourd’hui les deux fils que j’ai eus de Rachel, et je demeure sans consolation. » Songe donc, seigneur ; si nous revenons sans Benjamin, sa vie et son âme, nous lui aurons donné la mort. Pour moi, je lui ai offert en otages deux fils que j’aime tendrement, et de plus, sous les plus grands serments, je l’ai garanti de tout péril. Que deviendrai-je si je retourne auprès de lui ? Il accomplit quatre-vingts ans, le bon vieillard, dont la barbe vénérable tombe sur sa poitrine. Tous à genoux et pleurant, nous demandons sa vie.

Tous.

Seigneur ! seigneur !

Joseph.

C’en est fait ! (Haut.) Sortez, Égyptiens… Qu’on me laisse seul avec les Hébreux.

Putiphar, à voix basse.

Qu’est ceci ?

Un Soldat.

Je ne puis comprendre.

Ils sortent.
Joseph, à part.

Ô mon cœur ! tu peux tressaillir !… Ô mes larmes ! vous pouvez couler !… (À ses frères.) Écoutez, je suis Joseph.

Ruben.

Quoi ! seigneur ?…

Issacar.

Comment pouvons-nous te répondre ?

Joseph, à part.

Je ne sais quelle sensibilité puissante s’est emparée de moi et me remue toute l’âme. (Haut.) Oui, je suis Joseph que vous avez vendu. Mais n’en soyez pas affligés. Moi je succombe à la joie. J’ai eu la force de résister à la douleur, mais je ne sais si ce plaisir ne me tuera point.

Benjamin.

Mon bien-aimé Joseph, mes larmes te font voir ce que j’éprouve.

Joseph.

Ô Benjamin ! combien ce jour rachète de chagrins !… Que de bonheur je te dois !… je te suis reconnaissant, ô mon frère ! de ce que tu as été la consolation de notre père bien-aimé… Il se contemplait en Rachel… Ensuite c’est toi qui lui as rappelé cette image… et bientôt il va de nouveau la contempler en nous deux, comme en un miroir brisé dont on a réuni les fragments. — Viens, approche, Benjamin, que je te presse sur mon cœur.

Ils s’embrassent.
Benjamin.

Seigneur, tous mes frères te parlent dans un muet silence, et si