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sagesse ; et celui qui dans la prospérité se rappelle le modeste état où il s’est vu, remporte la plus difficile des victoires. (À part.) Je ne me puis persuader que cet homme se soit rendu coupable d’une trahison. C’est Nicèle qui m’a inspiré une injuste jalousie… Oh ! oui, sans nul doute, il doit être innocent, car l’homme qui a des vices s’y abandonne aisément lorsqu’il a en main le pouvoir. Et puisque Joseph se conduit avec tant de vertu, c’est elle sûrement qui est coupable ; et si j’ai vu en ses mains le manteau de Joseph, c’est qu’il le lui aura jeté, comme on jette son manteau sur les yeux d’un taureau furieux qui se précipite sur vous.

Joseph s’assied.


Entrent RUBEN, NEPHTALI, ISSACAR, SIMÉON et BATO[1].
Siméon.

Est-ce là le Sauveur ?

Nephtali.

On dit qu’il est ici.

Siméon.

Avance.

Nephtali.

Est-ce que cela suffit ?

Ruben.

Comment le saluer ?

Bato.

Malgré ma rusticité, je sais qu’il faut se prosterner devant lui, à genoux, comme pour l’adorer. — Allons, avancez.

Tous s’agenouillent.
Ruben.

Aux pieds de ta grandeur, tu vois, sauveur de l’Égypte, de pauvres Hébreux qui viennent acheter de ce blé que ta prévoyance, nous a-t-on dit, a conservé pour ces temps de disette. Ordonne, seigneur, ordonne par pitié qu’on nous fournisse de quoi subvenir à nos besoins dans ces temps calamiteux.

Joseph, à part.

Ô ciel ! que vois-je ?… ô ciel ! qui peut pénétrer tes secrets ?… Suprême Providence ! ne sont-ce point là mes frères ?

Ruben, à Issacar.

D’où vient son étonnement ? D’où vient cet air pensif ?

Issacar.

Son visage a changé de couleur.

Nephtali.

Les hommes d’état, aussi bien que les hommes d’étude, sont sujets à ces sortes de distractions[2].

  1. Ici la scène est transportée dans l’intérieur du palais ; mais comme il n’y avait nulle part d’interruption, nous n’avons pas pu indiquer le changement.
  2. En los hombres que goviernan
    A y este divertimiento
    Como en los hombres de letras.