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LES TRAVAUX DE JACOB

(LOS TRABAJOS DE JACOB[1].)


NOTICE.


Lope de Vega a composé sur l’antique histoire des Hébreux trois pièces qui formaient une sorte de trilogie : 1o L’Enlèvement de Dina (el Robo de Dina) ; 2o les Travaux de Jacob (los Trabajos de Jacob) ; 3o la Sortie d’Égypte (la Salida de Egipto)[2]. La troisième de ces pièces, ou, si l’on veut, la troisième partie de la trilogie est aujourd’hui perdue. Des deux autres, bien que la première renferme de grandes beautés, nous donnons de préférence la seconde, à cause que le sujet en est plus populaire et d’un bien plus grand intérêt.

Dans les Travaux de Jacob, Lope a dramatisé les aventures de Joseph, un des plus touchants récits de la Bible. Nous craindrions de gâter cet admirable récit en l’abrégeant. Nous renvoyons le lecteur à la Genèse, chap. xxvii et suivants.

Lope de Vega a composé son œuvre avec un art supérieur. L’exposition commence par un récit dans lequel Joseph raconte à la femme de Putiphar sa jeunesse, la haine de ses frères, la manière dont ils l’ont vendu, etc., etc. ; et la pièce finit à la venue de Jacob en Égypte, lorsqu’il retrouve son fils bien-aimé. Ce plan, selon nous, ne pouvait être conçu que par un grand poëte.

Les personnages principaux sont bien peints, et le poëte a développé avec beaucoup de sagacité et d’esprit les indications de la Bible. Le Joseph de Lope est le Joseph de la Genèse ; seulement sa piété, sa charité, son humilité, en un mot, ses vertus me semblent avoir un caractère plus chrétien. La femme de Putiphar est, comme dans la Genèse, une femme aux passions emportées, qui en déclarant son amour se sert des expressions les plus vives. Lope lui donne en même temps beaucoup d’ambition, et il a raison. Si les femmes au cœur tendre dédaignent tout ce qui n’intéresse pas leurs sentiments, il n’en est pas de même de certaines femmes hardies, violentes, qui ont une grande activité, et qui, alors surtout que viennent les années, demandent à l’ambition des consolations et des dédommagements. — Putiphar est, comme dans l’Écriture, un excellent homme dominé par sa femme, en qui il a une confiance absolue. — Le vieux Jacob, partagé entre les regrets que lui inspire la perte de Joseph et les consolations qu’il trouve près de Benjamin, et entretenant sa vieillesse du souvenir de Rachel, est d’une vérité historique. — Quant à Benjamin, quoiqu’un peu farouche, il est charmant. Ce n’est pas, à mon avis, par un pur caprice d’artiste, c’est par des motifs réfléchis et très-profonds, que Lope lui fait jouer auprès de Lida le même rôle que Joseph joue auprès de Nicèle. Si je ne me trompe, il aura voulu par là faire reconnaître en eux les enfants de la même mère, et en leur donnant la même manière de sentir, annoncer la

  1. Le mot espagnol trabajos revient exactement au mot latin labores, et ici il signifie peines, ennuis, tourments, chagrins, douleurs, mais avec une nuance poétique et noble qui ne se trouve au même degré dans aucune de ces expressions. C’est pourquoi nous l’avons traduit par le mot travaux, qui, dans l’acception ordinaire, a le même sens et la même valeur. Ce n’est pas d’ailleurs la première fois que le mot travaux est employé au pluriel dans cette acception. Au dix-septième siècle, il avait aussi la signification que nous lui avons donnée. Le poëte Sénecé a composé un poëme intitulé : les Travaux d’Apollon, dans lequel il a raconté les peines, les ennuis, les chagrins d’Apollon chassé du ciel.
  2. En disant que Lope a composé sur la Genèse trois pièces qui forment une sorte de trilogie, nous ne voulons pas dire qu’il n’a composé que celles là. Nous avons aussi de lui une pièce intitulée l’Histoire de Tobie, deux pièces intitulées la Beauté de Rachel (la Hermosura de Raquel), etc., etc.