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pour la défendre dans le cas où l’ennemi aurait l’audace de revenir l’attaquer.

Le Roi.

Cette entreprise a été fort bien dirigée. — Le comte de Cabra doit demeurer à Ciudad-Réal et réorganiser les troupes de manière à occuper fortement le passage ; et par ce moyen nous n’aurons rien à craindre du roi de Portugal. Notre fidèle comte montrera dans ce poste important ce qu’il a de sagesse et de valeur. Il peut nous y garantir des dangers les plus redoutables, et veiller, sentinelle vigilante, à la sûreté du royaume.


Entre FLOREZ, blessé.
Florez.

Roi catholique Ferdinand, à qui le ciel a donné la couronne de Castille comme à celui qui en était le plus digne, écoutez le récit de la plus horrible barbarie que l’on ait jamais vue chez un peuple depuis les lieux où naît le soleil jusqu’à ceux où il termine sa course.

Le Roi.

Calme-toi.

Florez.

Roi puissant, mes blessures ne me permettent point de différer le compte que j’ai à vous rendre ; car la fin de ma vie approche. — Je viens de Fontovéjune, dont les habitants, pleins de cruauté, ont tué leur seigneur. Fernand Gomez est mort, frappé par ses traîtres vassaux. Les peuples, une fois mécontents, se révoltent à la première occasion. — Ceux de Fontovéjune se réunissent en appelant le commandeur du nom de tyran, et avec ce cri ils courent commettre leur crime ; ils brisent les portes de sa maison ; ils sont sourds à la parole qu’il leur donne, foi de chevalier, de satisfaire ceux qui ont à se plaindre ; ils ne veulent pas même l’entendre. — Dans leur impatiente fureur, ils percent de mille coups ce cœur couvert du signe sacré de la croix ; et des hautes fenêtres des tours ils précipitent son corps dans la rue, où des femmes forcenées le reçoivent sur la pointe de leurs lances. Puis on traîne le cadavre dans une maison, et c’est à qui lui fera subir le plus d’outrages : on lui arrache la barbe et les cheveux, on le perce de mille coups, on le déchire en pièces. On brise ses armoiries avec le fer des piques, et l’on dit à haute voix qu’on veut y placer les vôtres, parce qu’ils ne peuvent plus voir celles du commandeur. Enfin, ils ont pillé sa maison comme on fait en pays ennemi, et, triomphants, ils se sont partagé ses dépouilles. Ce que je dis à votre majesté, je l’ai vu de mes yeux. Le ciel n’a pas voulu que je périsse dans ce cruel événement. Laissé pour mort, je me suis caché, et, la nuit venue, j’ai pu m’échapper pour vous apporter cette nou-