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Sébastienne, la femme de Pedro Redondo, ne s’est-elle pas rendue à ma poursuite ? et celle de Martin del Pozo m’a-t-elle résisté ? L’une et l’autre pourtant n’étaient mariées que depuis quelques jours.

Laurencia.

Celles-là, monseigneur, avaient appris avec d’autres l’art de vous être agréables, et elles avaient écouté avant vous beaucoup de garçons du village. — Allez, monseigneur, Dieu vous fasse retrouver votre daim… Si je ne voyais pas la croix qui orne votre poitrine, je vous prendrais pour un démon, tant vous êtes obstiné à me poursuivre.

Le Commandeur.

À la fin je perds patience. Je pose là mon arbalète, et je m’en remets à mon bras, à ma force, pour avoir raison de tes minauderies.

Laurencia.

Comment ? que faites-vous ? perdez-vous la raison ?

Le Commandeur.

Ne te défends pas.

Frondoso paraît, et se saisit de l’arbalète.
Frondoso, à part.

Vive Dieu ! je tiens l’arbalète, et ce n’est pas pour la porter sur mon épaule.

Le Commandeur.

Finis-en donc ; rends-toi.

Laurencia.

Cieux tout-puissants, secourez-moi !

Le Commandeur.

Que crains-tu ? nous sommes seuls.

Frondoso.

Illustre commandeur, laissez cette fille. Autrement, malgré mon respect pour votre croix, elle sera le but où, dans ma colère, je lance ce trait.

Le Commandeur.

Vilain chien !…

Frondoso.

Tant que vous voudrez ! — Fuis, Laurencia.

Laurencia.

Frondoso, prends garde à ce que tu fais.

Frondoso.

Sois tranquille. Va-t’en.

Elle sort.
Le Commandeur.

Maudite soit mon étourderie ! Je n’ai pas mon épée. Je l’ai laissée pour qu’elle ne me gênât pas dans mes courses.

Frondoso.

Ne bougez pas, monseigneur ; sans quoi je lâche la détente, et tant pis pour vous !