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ordonnez-vous que je me retire en attendant que cette fureur s’apaise ?

La Duchesse.

N’auriez-vous pas à votre disposition la maison d’un ami ?

Le Comte.

La vôtre ne pourrait-elle pas me servir d’asile ?

La Duchesse.

Vous y seriez bientôt découvert.

Le Comte.

Ah ! Celia !

La Duchesse.

Le prince a gagné mes domestiques, et quelqu’un d’eux vous trahirait ou vous tuerait. Ma maison, d’ailleurs, isolée comme elle l’est, appartient plutôt à la campagne qu’à la ville ; une fois entré, il vous serait impossible d’en sortir… Il convient que j’évite une rencontre funeste… Il vaut mieux que vous sortiez pour quelque temps du royaume, que vous alliez, non dans vos terres ou dans les miennes, mais en pays étranger. Je vous engage ma parole de n’être jamais l’épouse d’un autre ; et quand même je ne vous reverrais plus, comptez que je suis à vous, à vous seul. — C’est vous-même, vous, comte, qui l’avez voulu.

Le Comte.

Quelle cruelle consolation vous me donnez ! Vous me montrez le ciel lorsque je suis dans l’abîme, Celia.

La Duchesse.

Prospero !

Le Comte.

Vous pleurez !

La Duchesse.

Je ne suis qu’une femme, et les larmes me sont permises.

Le Comte.

Je voudrais pouvoir vous imiter, mais jamais je n’ai pu pleurer — Enfin vous m’exilez, vous m’ordonnez de renoncer à vous, au bonheur ?

La Duchesse.

Il le faut ; il n’y a pas d’autre parti à prendre. Il sera possible que vous viviez seulement quand nous serons séparés par la mer ou que nous aurons mis une grande distance entre nous. — En arrivant là-bas, vous m’écrirez.

Le Comte.

Vous n’avez pas besoin de recevoir de mes nouvelles, puisque vous consentez aussi aisément à mon absence.

La Duchesse.

Ne me désolez pas, de grâce !

Le Comte.

Je me plains, voilà tout.