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reconnaissance de vos empressements ? Car enfin n’est-elle pas libre d’aimer ou de haïr ?

L’Infant.

Comment ! ces fantaisies ou ces faussetés ne se voient-elles pas à chaque instant chez les femmes ?… N’osant pas repousser ouvertement mes hommages, elle me montre un visage serein et content ; mais au fond, c’est le comte qu’elle aime d’un véritable amour. Comme elle a de l’esprit, elle encourage en apparence mon assiduité ; mais c’est au comte qu’elle a livré son âme en secret. Ne me contredis point, Valerio, j’en suis certain. Il y a longtemps que cette idée m’est venue ; je n’y ai pas ajouté d’abord une foi entière, par respect pour elle, par respect pour moi. Mais depuis que je l’ai vue elle-même, un soir, ici, remettre au comte une lettre, je crois ce que j’ai craint, et je crois ce qui est.

Valerio.

Et que prétendez-vous ?

L’Infant.

Lui parler en ce lieu, Valerio.

Valerio.

Vous l’avez donc envoyé chercher ?

L’Infant.

Il ne tardera pas à venir.

Valerio.

Que comptez-vous lui dire ?

L’Infant.

Tout ce que la jalousie m’inspirera.

Valerio.

Quel est votre dessein ?

L’Infant.

D’obtenir qu’il renonce à ses prétentions, ou de le tuer s’il refuse — Perfide comte Prospero ! audacieux faucon qui m’as ravi ma tourterelle, je te ferai lâcher ta proie !

Valerio.

Votre mal, monseigneur, est plus sérieux que je ne le pensais.

L’Infant.

Il est cruel, terrible et incurable.

Valerio.

Mais ne trouvez-vous pas que c’est vous abaisser que de vous porter ainsi pour rival du comte ?

L’Infant.

Puisqu’il m’y a contraint, je demanderai satisfaction à ce traître, et au monde entier s’il le faut.

Valerio.

Je lui parlerai.

L’Infant.

Je ne le veux pas.