Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tillan qu’il attachait au désordre de fortune, dissipaient bien vite ce qu’il avait gagné. Après avoir vécu splendidement, il laissa fort peu de bien à sa mort[1]. »

Ainsi, des deux historiens, tandis que l’un fait de Lope un rapace harpagon, l’autre le représente comme un écervelé dissipateur. D’où viennent ces deux peintures si différentes ? Le voici, j’imagine.

Montalvan a donné, avec son exagération habituelle, le chiffre de l’argent que Lope aurait touché dans sa vie, et il évalue ce que son maître aurait gagné seulement avec ses comédies, à la somme de quatre-vingt mille ducats. — Bouterweck n’ayant pas bien saisi le vrai sens de la phrase de Montalvan, et exagérant par dessus ses exagérations, a dit, sans mauvaise intention d’ailleurs, que « Lope se vit une fois possesseur de plus de cent mille ducats. » Or, pour composer leurs livres, lord Holland et M. de Sismondi ont lu Bouterweck ; et lord Holland s’imaginant que Lope se faisait pauvre tout en ayant cent mille ducats dans son coffre-fort, l’a soupçonné d’une avarice sordide ; tandis que M. de Sismondi, voyant qu’à la fin de sa vie il ne lui restait à peu près rien de cette somme énorme, a pensé qu’il y avait là une folle prodigalité. Et voilà toujours comme on écrit l’histoire !

Maintenant, laissant de côté les calculs évidemment erronés de Montalvan, essayons d’établir d’une manière positive le bilan de la fortune de Lope, sa recette et sa dépense.

Quinze cents comédies (et non pas dix-huit cents, comme dit Montalvan : je le prouverai tout à l’heure), quinze cents comédies à raison de 500 réaux chacune, ou 130 francs, cela donne 195,000 francs. — De divers seigneurs, en cadeaux, environ 60,000 francs. Plus environ 2,000 francs de revenus en bénéfices. Tout cela réuni fait à peu près 15,000 livres de rente, et équivaut à 25,000 livres de revenu de notre monnaie.

Quant à la dépense, il faut se rappeler 1o que Lope fut obligé d’élever une famille nombreuse ; 2o que si alors les objets de première nécessité coûtaient beaucoup moins qu’aujourd’hui, le prix des livres, des tableaux, de tous les objets d’art, était à peu près le même ; 3o enfin que sa caisse était celle de tous les pauvres de Madrid.

  1. Voyez Littérature du midi de l’Europe.