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Commençons par ce qui concerne la vie de Lope.

Sur sa jeunesse.

Et d’abord, nous trouvons ici au premier rang un écrivain qui jouit à juste titre d’une haute réputation, et de qui nous apprécions plus que personne le savoir étendu et le rare talent, M. Fauriel. M. Fauriel a communiqué récemment à l’un de nos recueils les plus estimés[1] une biographie de Lope, racontée avec ce goût merveilleux et cette exquise élégance qui distinguent tout ce qui sort de la plume de l’habile écrivain, mais dont le fond est bien singulier. Voici le fait.

Parmi les ouvrages de Lope se trouve une espèce de roman dialogué intitulé Dorothée, action dramatique en prose. Ce roman a pour héros un jeune homme dont l’existence est assez délicate à définir : vivant aux dépens de deux femmes dont il est aimé, et recevant d’elles des bijoux, des cadeaux qu’elles-mêmes ont reçus de riches protecteurs, etc., etc., etc. Or, savez-vous ce qu’a fait M. Fauriel ? Sans se laisser arrêter par le caractère évidemment romanesque des épisodes et des incidents de Dorothée, il a mis sur le compte de Lope les aventures de son héros. Et pour donner à ces épisodes, à ces incidents romanesques, un air de vraisemblance, M. Fauriel a changé le nom du héros, Fernando, en celui de Lope. Et puis, acceptant ses propres inventions pour de l’histoire véritable, M. Fauriel se révolte et s’indigne contre la franchise de Lope, qui n’a pas reculé devant de tels aveux : ce qui serait assez plaisant si, au fond, ne se trouvait pas en jeu l’honneur d’un homme, l’honneur d’un poëte, d’un grand poëte.

M. Fauriel a prévu qu’on lui demanderait quels ont été ses motifs pour attribuer au roman de Dorothée un caractère historique. « Cette discussion, a-t-il répondu d’avance, n’aurait guère pu intéresser que les personnes déjà versées dans la littérature espagnole. » Pardon, monsieur ; il ne s’agit point ici d’une question spéciale d’érudition ou de philologie ; il s’agit d’un grand poëte à qui jusqu’à présent tous ses biographes avaient reconnu les sentiments les plus nobles, les plus élevés, les plus délicats, et à qui vous attribuez non pas

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes, numéro du 1er septembre 1839.