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raconté les belles actions de la république, a laissé des Sagontins un magnifique éloge[1]. Au moyen âge, c’est la même abnégation patriotique. Dès le lendemain de la bataille du Guadalète, qui les mit sous la domination arabe, les Espagnols se lèvent contre leurs conquérants. Durant huit siècles, toutes les générations qui se succèdent vont combattre et mourir pour la délivrance de la patrie ; et toutes, l’une après l’autre, se sacrifient à cette cause sainte, jusqu’à ce que ce peuple généreux ait reconquis son pays, du nord au midi, des Pyrénées à Grenade. — Puis, l’œuvre accomplie, quand les Espagnols se précipitent au nouveau monde pour y exercer une activité qui ne trouvait pas assez d’emploi en Europe, ils apportent, il est vrai, avec eux des préjugés dont aucun peuple ne s’était encore dépouillé à cette époque, une énergie qu’avait développée la longue habitude des combats ; mais l’avouerai-je ? je n’admire pas moins ces hommes qui, dédaigneux du repos et des jouissances vulgaires, s’élancent en petit nombre au milieu de nations puissantes, se partagent à l’avance de vastes empires, et les soumettent par des prodiges de valeur ; prouvant bien que, selon les paroles de Fernand Cortez, ils cherchaient aux Indes occidentales, non pas seulement de grandes richesses, mais de grands périls. Et vous comprenez maintenant que chez un tel peuple la comédie ait eu ce caractère guerrier, héroïque. Et vous le comprendrez mieux encore si vous vous rappelez qu’en Espagne les poëtes tenaient la lance et l’épée aussi bien que la plume, et que tous avaient d’abord été soldats, de vaillants soldats.

En dehors de la théorie dramatique, Shakspeare et Lope n’ont rien de commun que la supériorité de génie. Shakspeare peint l’homme d’une manière sans égale : il excelle dans l’analyse psychologique : il découvre avec une sagacité étonnante les motifs les plus secrets, les plus cachés des actions humaines ; et il serait à cet égard sans reproche, si parfois il ne paraissait se complaire à montrer sa science, — un peu semblable à ces peintres qui aiment à faire voir leurs connaissances anatomiques. Lope n’a guère représenté que ses compatriotes ; mais de son temps les Espa-

  1. Voyez Tite-Live, liv. xxi.