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burlesque (voyez la Gatomachie, silv. 4), il met en scène une guenon « qui parlait la langue des cultistes, et même l’entendait :

Que hablaba en lengua culta y la entendia.


Et mille autres malices pleines de verve et de gaieté.

Malheureusement Lope n’était pas homme à entretenir jusqu’au tombeau une querelle littéraire, et après une guerre de vingt ans il fit la paix avec Gongora. Et pour annoncer au public cette réconciliation, il dédia à son nouvel ami une de ses plus jolies pièces[1]. Et pour montrer sans doute que de sa part la réconciliation était complète, il mit dans plusieurs de ses ouvrages quelques-unes de ces grâces dont il s’était moqué si longtemps. Ce qui n’empêche pas, après tout, qu’il ne soit, de l’avis même de Cervantes, qui s’y connaissait, un très-grand écrivain en vers et en prose[2].

Il me reste à dire un mot sur l’esprit qui anime les comédies de Lope de Vega.

Quand je considère le théâtre de Lope, toutes ces belles aventures d’amour, tous ces dévouements chevaleresques, tous ces brillants duels, je ne vois qu’une manière de qualifier cette comédie, et, comme ont fait souvent nos poëtes du dix-septième siècle pour leurs imitations, je l’appelle héroïque.

On a beaucoup déclamé contre ce caractère de la comédie espagnole : selon nous, elle ne pouvait pas en avoir d’autre. Le théâtre des Espagnols, avons-nous dit, comme le théâtre des Anglais, comme le théâtre des Grecs, a procédé de leur histoire. Or, parcourez par la pensée cette histoire depuis l’époque où les traditions présentent quelque certitude jusqu’à l’époque de Lope, et voyez si elle n’est pas essentiellement héroïque. Dans l’antiquité c’est le sublime dévouement de Numance et de Sagonte, dont Rome elle-même fut étonnée ; et le plus noble de ses historiens, celui qui a si dignement

  1. Amor secreto hasta zelos (l’Amour secret jusqu’à la jalousie).
  2. Dans son Voyage au Parnasse (Viage al Parnaso), publié en 1614, Cervantes dit de Lope :

    Poeta insigne, a cuyo verso o prosa
    Ninguno le aventaja, ni aun le llega.

    Poëte insigne, qu’en vers ou en prose
    Personne ne surpasse ni même n’égale.