Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Arlaja.

La renommée m’a appris votre histoire, et un captif qui vous aime m’a parlé de vous… Et, croyez-le bien, jusqu’à présent j’ai si soigneusement ménagé mon cœur et mon amour, qu’en vain mon frère Almanzor a voulu me marier ; il n’a pu y réussir. Vous seul au monde m’avez inspiré un sentiment, et cela vous le devez à ma bonne opinion de votre vertu. Car moi, voyez-vous, je ne compte pour rien ni les avantages de la jeunesse ni les grâces du bel âge : l’âme est tout pour moi ; l’âme est pour moi jeunesse et noblesse, beauté et qualité.

Bustos.

Ah ! c’est le ciel, oui, le ciel qui, touché de mon malheur et m’en voulant dédommager, a ému votre volonté en ma faveur. Le ciel seul pouvait mettre dans un cœur tant de pitié ; etc., etc.


Souvent Lope s’élève jusqu’au sublime. Dans une pièce composée sur le sujet d’Horace[1], il y a plusieurs traits que me semblent bien beaux. Je n’en rapporterai qu’un seul. Le lieu de la scène est la lice où combattent les représentants d’Albe et de Rome. Les trois Curiaces sont debout, et il ne reste plus qu’un seul Horace. Les Romains qui entourent le champ du combat sont plongés dans une muette stupeur. Le dernier des Horaces devine les sentiments qui les agitent, et se tournant vers eux : « N’ayez pas peur, Romains ! ne craignez rien pour la patrie ! Je suis seul, il est vrai ; mais je porte en mon cœur le courage de trois hommes, car les âmes de mes deux vaillants frères ont passé dans mon sein ! » En vérité, cela est digne de Corneille, et son vieil Horace méritait d’avoir un fils comme celui-là.

Le sublime poëte, de qui l’on pourrait dire qu’il avait, lui aussi, trois âmes dans son sein, possède en même temps la gaieté, la verve comique la plus amusante. Schlegel, d’ailleurs injuste envers lui, reconnaît qu’il a des plaisanteries incomparables. En voici deux ou trois, d’un goût différent, qui auraient pu motiver l’opinion de Schlegel.

Nous sommes dans l’Arauco, aujourd’hui le Chili, à l’épo-

  1. Cette pièce, qui d’abord avait pour titre los Horacios (les Horaces), a été ensuite intitulée, du vivant de Lope, El honrado hermano (L’honoré frère). La pièce de Lope a évidemment inspiré celle de Corneille, quoique les deux ouvrages aient été composés d’un point de vue et dans un système tout différents. Nous nous proposons de traduire la comédie espagnole.