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heur, je suis prisonnier… Permettez, madame, queje baise vos pieds.

Arlaja.

Levez-vous, ne restez pas dans cette humble posture.

Bustos.

Oh ! laissez, laissez-moi vous remercier ainsi de vos bontés ; laissez-moi me consoler ainsi de mes peines, que vous me rendez chères. Ah ! sans doute je suis libre, puisque je vous vois, car je vois en vous la douce image de la Pitié. Nous autres Castillans, nous croyons aux augures[1] ; et si les premiers qui se sont offerts à mes yeux ne sont pas trompeurs, j’ai confiance que ma prison ne sera pas de longue durée. Oui, en vous voyant, l’espérance renaît dans mon cœur.

Arlaja.

Le roi mon frère a été si fort touché en apprenant votre aventure, que bientôt il vous rendra la liberté. S’il n’eût pris en considération votre noblesse, votre mérite, et la perfidie dont on a usé à votre endroit, déjà ses ministres vous auraient tranché la tête. Mais vous ne pouvez douter de ses bonnes dispositions pour vous, puisqu’il a laissé en mes mains la clef de votre prison. C’est moi qui serai votre alcayde[2] ; c’est à moi que l’on a confié votre garde.

Bustos.

Alors cette mienne prison ne sera pas pour moi un châtiment et une peine, mais un avantage, un plaisir, un bien. Mon innocence doit donc être pleinement reconnue, puisqu’on me donne un ange pour geôlier. Oui, bien que vous soyez une Morisque, je ne crains pas de vous comparer à un ange, car tout ce qui est vertueux et beau mérite le nom d’ange… Quelles sont vos intentions à mon égard ?

Arlaja.

C’est de vous traiter de mon mieux, affligée que je suis de votre infortune.

Bustos.

Alors les traîtres seront bien punis ; car ils se flattaient de me perdre en me faisant accomplir ce perfide message, et au lieu de la mort sur laquelle ils comptaient, ils m’ont donné la vie et la gloire. Suis-je connu de vous ?

    inspirée à Lope par les fameuses romances composées en l’honneur des infants de Lara. Mais la scène que nous donnons ici est entièrement de l’invention de Lope.

  1. Cette croyance avait été probablement apportée aux Espagnols par les Romains. On en trouve des traces dans les plus vieilles chroniques et dans les anciennes romances, et même, ce qui est assez remarquable, dans les chroniques et les romances qui racontent l’aventure de Gonzalo Bustos.
  2. Le mot arabe alcayde signifie le gouverneur d’une place, d’une prison.