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conquérir une partie du monde alors connu, et vous, en huit mois, vous avez conquis un nouveau monde tout entier. Non, mon cher amiral, il n’y a pas un homme dans l’antiquité que l’on puisse vous comparer ; vous les surpassez tous. Qu’il est beau, qu’il est glorieux à vous d’avoir donné un continent à l’Espagne, et à Dieu toutes ces âmes ! Mais, Christophe Colomb, j’ose dire que votre nom de baptême vous prédestinait à cet exploit ; car l’auteur de cette rédemption devait avoir quelque chose du Christ[1]. Comme le saint dont on vous a donné le nom, vous avez fait traverser les mers, — ces vastes mers qui désormais sont nôtres, — aux naturels de ce monde lointain, en les portant sur vos puissantes épaules[2] ; et en leur faisant traverser les mers, vous les avez conduits au port du ciel… Je reçois de votre main le don immense que vous m’offrez, — ce don, le plus grand qu’un homme ait jamais offert à un roi. Je ne sais que vous donner en retour. Mais pour essayer de m’acquitter, ou plutôt pour vous témoigner ma reconnaissance, je vous nomme duc de Beraguas, grand amiral de la mer, et je vous donne pour armes deux châteaux et deux lions sur la mer, pour la Castille et pour Léon[3].

Colomb.

Sire, en me comblant ainsi de vos éloges et de votre libéralité, vous m’inspirez le regret que je ne puisse pas vous découvrir un autre monde pour vous montrer ma gratitude. — (Montrant les Indiens.) Ces hommes, sire, ont été instruits dans notre religion, et ils désirent le baptême.

Ferdinand.

C’est moi qui serai leur parrain.

Colomb.

Ils se prosternent devant vous. — J’ai beaucoup de choses, sire, à vous conter sur notre découverte.

Ferdinand.

Il me tarde d’être seul avec vous pour vous entendre. (À la Reine.) Cet or, madame, je vous le cède ; il est pour vous.

Isabelle.

Et moi, sire, je veux le donner à l’église de Tolède, qui aura là de quoi faire un magnifique tabernacle.

Ferdinand.

Je brûle d’entendre le récit de cet exploit héroïque. (À Colomb.) Venez, duc. (À la Reine.) Et vous, madame, venez écouter la relation de Colomb, la découverte du nouveau monde.

Le Roi, la Reine et Colomb sortent.
  1. Christophe, en latin Christumferens.
  2. Allusion à la légende de saint Christophe, qui, établi à demeure près d’un torrent impétueux, le faisait passer aux voyageurs en les portant sur ses épaules.
  3. Parce que la découverte de l’Amérique s’était faite sous les auspices d’Isabelle, roi de Castille et de Léon.