Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/329

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui n’a pas craint le nuage souffre de la tempête. — Mais le voilà qui s’avance, et je crois reconnaître Tapirazu.

Auté.

Veux-tu le viser, ou que moi je tire sur lui ?

Dulcan.

Arrête.


Entre TAPIRAZU, portant une massue.
Dulcan.

Eh quoi ! insolent, tu oses venir jusqu’à ma maison ?

Tapirazu.

Je ne sais où mon désespoir ne me ferait pas pénétrer. Un homme qui veut mourir ne craint rien ; il ne redoute pas mille flèches lancées contre lui, et tu m’as assez offensé pour que je ne craigne pas de mourir. J’étais occupé à offrir à Ongol un sacrifice, j’allais lui immoler la plus belle tigresse de nos bois ; je l’avais couverte d’ambre et de parfums, et entourée de branches de myrrhe et de laurier, lorsque j’ai entendu du bruit. Je suis accouru, et j’ai vu que toi-même venais de sacrifier mon bonheur à ta vengeance. J’ai voulu réunir ma nation : ils ont eu peur, et n’ont pas voulu marcher contre toi. Mais moi je n’ai pas eu peur, et me voici, et seul je suis venu mourir aux yeux de ma fiancée pour lui montrer mon amour, duquel déjà elle ne peut douter. Ainsi donc, cacique, je t’en prie au nom du soleil et de ton courage, prends ton arc et perce-moi le cœur. Ou si cela te paraît mal, dispute-moi Tacuana, et voyons qui de nous deux est le plus digne d’elle. Veux-tu prendre un rocher, un tronc d’arbre, nous en charger tour à tour les épaules, et voir qui de nous le portera plus longtemps ? Aimes-tu mieux, toi avec ton arc, moi avec une pierre, essayer à qui atteindra le mieux un but éloigné ? Préfères-tu jouer de la massue avec moi ? Ou si tu veux, nous lutterons dans la science du ciel ? ou à qui peindra le mieux un arc ? ou à la course, à la chasse, à la pêche ? Enfin je te défie à quoi que ce soit, dans ta maison ou sur le rivage.

Dulcan.

Mieux que tout ce qu’on raconte, ton exemple prouve aujourd’hui à quel point l’amour rend insensé. Est-ce que, le soleil excepté, je puis redouter quelqu’un ? Est-ce que jamais mortel m’a défié ? Pardonne, ô soleil ! pardonne, car si je saisis cet homme, je le lance vers toi, et malgré lui je le fais entrer dans le ciel. — Sais-tu, par aventure, que je suis Dulcan-Quellin ?

Tapirazu.

Et toi, ne sais-tu donc pas que je suis Tapirazu ? — Tu oses traiter ainsi un cacique souverain seigneur de sept rivières. Tu me menaces de me lancer contre le ciel ; et moi, si je te prends avec ce bras, je te lance au milieu de la mer, et même par delà.