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plus connu les antipodes ? Si vous daignez m’aider, seigneur, j’irai vous conquérir ces Indiens idolâtres, lesquels doivent, ce me semble, être soumis à la foi chrétienne par un roi que l’on a surnommé le Catholique, et par la plus sage et la plus pieuse reine que l’on ait vue depuis l’âge d’or.

Isabelle.

Le ciel ne peut manquer de favoriser un zèle et des vues si louables. Je suis d’avis que l’on tente l’entreprise.

Ferdinand.

Que te faut-il, Colomb, pour cette expédition ?

Colomb.

Une seule chose, sire : de l’argent. Car l’argent est en tout souverain. L’argent, c’est l’étoile polaire, la boussole, la carte marine du navigateur ; l’argent, c’est l’intelligence, la force, l’adresse, le plus sûr appui et le meilleur ami de l’homme.

Ferdinand.

Tu dois savoir tout ce que m’a coûté la guerre de Grenade ?

Colomb.

J’espère, sire, qu’avec l’aide de Dieu, l’Espagne sera bientôt riche, et qu’il viendra un temps où l’or et l’argent seront communs chez elle, et où les pierres jusqu’ici réputées précieuses se vendront à vil prix. Il me faut, sire, trois caravelles avec environ cent vingt hommes d’équipage, qui puissent se battre au besoin, ou rester dans le pays que je vais découvrir. D’après mes calculs, seize mille ducats me sont absolument nécessaires.

Ferdinand.

Dites, don Alvaro, pourra-t-on trouver quelqu’un qui nous prête cette somme, à moi et à Colomb ?

Don Alvaro.

Je crois, sire, que Louis de Santangel, votre ancien greffier des rations[1], pourra la fournir.

Ferdinand.

Eh bien, qu’on la donne à Colomb ; et puisse le ciel être favorable à ses hautes pensées, afin que la monarchie d’Espagne soit agrandie, et que les idolâtres soient réunis à l’Église !

Colomb.

Permettez maintenant que je me retire. Je vais composer ma flotte à Palos[2], et puis, avec l’aide de Dieu, j’irai trouver cette

    d’impression, et au lieu de ce mot Atile nous avons lu de Tule. Il est possible que Lope eût écrit, d’après l’orthographe grecque, á Tyle ou á Tile. De là, sans doute, l’erreur.

  1. Nous avons traduit littéralement escribano de raciones. Le greffier des rations était chargé de payer aux domestiques du palais l’argent de leur nourriture et de leurs gages.
  2. Ce fut en effet du port de Palos que partit Colomb pour aller découvrir l’Amérique. Palos est un petit village situé sur la rive gauche du Rio-Tinto. C’était alors l’entrepôt du commerce de l’Andalousie.