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raison ne les admet pas aisément. Il n’est pas facile de croire à l’existence d’un monde inconnu aux anciens.

Colomb.

Il ne leur était pas inconnu. J’invoquerais, au besoin, les auteurs. Le témoignage de plusieurs d’entre eux prouve qu’il avait été découvert à l’époque de César-Auguste. Cela se voit dans Virgile, qui dit, au sixième livre de l’Énéide, que, en dehors de la route du soleil et des étoiles, il y avait un pays où Atlas appuyait ses épaules contre un feu dévorant[1].

Don Alvaro.

Selon Servius[2], cela s’appliquerait à l’Éthiopie.

Colomb.

Non pas, croyez-le, ce sont les Indes que je cherche. Et, n’en doutez pas, il y a dans ce pays de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, des animaux divers, des oiseaux variés, des arbres qu’on n’a jamais vus, enfin tout un monde nouveau. — C’est le ciel qui m’a inspiré mon projet ; c’est lui qui m’encourage.

Don Alvaro.

Voici les rois qui viennent vous parler[3].


Entrent FERDINAND, ISABELLE, et quelques Seigneurs.
Colomb.

Que votre altesse me permette d’embrasser ses genoux.

Ferdinand.

Lève-toi, mon cher Colomb, et dis-moi comment tu conçois ton entreprise.

Colomb.

Sire, maintenant que vous avez heureusement terminé la conquête de Grenade, le moment est venu pour vous de gagner un monde, car ce n’est pas moins que je vous offre. L’Espagne sans doute est grande ; mais vous êtes tous deux si grands, que si vous n’y ajoutez pas un nouveau monde, vous ne pourrez pas vous y tenir à l’aise. Celui que je vous offre en ce moment a été perdu de vue par les anciens qui l’avaient découvert. Ptolémée ne l’a point mis sur ses Tables ; mais s’il a ignoré l’existence des îles Fortunées, et s’il n’a pas connu Thulé[4], comment s’étonner qu’il n’ait pas non

  1. ......Jacet extra sidera tellus
    Extra anni solisque vias, ubi cœlifer Atlas
    Axem humero torquet stellis ardentibus aptum.

  2. Le texte porte Herbio. Mais nous avons pensé qu’il s’agissait ici du commentateur Servius, et, en effet, cette explication se trouve dans son commentaire à la suite des vers cités dans la note précédente.
  3. On sait qu’en Espagne on appelait Ferdinand et Isabelle les rois (los reyes). Isabelle était de son chef roi de Castille et de Léon.
  4. Que si no vio las Fortunadas islas
    Ni Atile conoció, etc., etc.

    Pour traduire ce passage nous avons été obligé de supposer dans le second vers une faute