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qu’il paraît, dès qu’il parle, on reconnaît l’homme supérieur, l’homme destiné à de grandes choses.

Toutefois je regrette que Lope n’ait pas dès l’abord fait dire à Colomb les motifs scientifiques sur lesquels il se fonde pour annoncer un nouveau monde. Ces motifs, je le sais, Colomb les déduit çà et là dans le premier acte ; mais ce n’est pas assez, selon moi : j’aurais voulu qu’il nous les confiât dès le commencement de l’exposition, par exemple dans la scène avec le roi de Portugal. L’histoire vraie ou fausse du pilote qui lui aurait révélé l’existence d’une terre inconnue à l’ouest de l’Océan, il ne fallait pas l’omettre, puisque c’était une tradition populaire ; mais elle ne devait venir qu’après. En procédant ainsi, le poëte posait, ce me semble, son héros d’une manière plus haute et plus sérieuse.

Les caractères de Ferdinand et d’Isabelle, — Ferdinand, opiniâtre, circonspect et cauteleux, elle, intelligente, pieuse, prudente et résolue, — sont conformes à l’histoire. — Barthélemy Colomb, dévoué à son frère et plein de confiance en son génie, est également vrai. — Dans Pinzon est indiqué, en quelques traits rapides, le hardi navigateur andaloux. — En idéalisant Gonzalve de Cordoue, Lope aura voulu sans doute témoigner sa reconnaissance au duc de Sessa, arrière-petit-fils du grand capitaine et le plus généreux de ses protecteurs. — On retrouve dans Mahomet les habitudes voluptueuses des derniers rois de Grenade, et l’on reconnaît le prince à qui sa mère disait, quand il lui fallut quitter le pays sur lequel il avait régné : « Pleure maintenant comme une femme ce royaume que tu n’as pas su défendre comme un homme. »

Quant à la plèbe des Espagnols qui accompagnèrent Colomb, Terrazas, Arana et les autres, ce sont bien là ces hommes braves et dévots, sensuels et avides, qui cherchaient les plaisirs et de l’or en même temps qu’ils travaillaient à établir leur religion dans le nouveau monde.

Les mœurs des Indiens, leurs passions, leurs croyances, leur ignorance, sont peintes avec beaucoup d’art. Mais surtout ce que j’admire, c’est la manière dont Lope a rendu l’impression produite par l’arrivée des Espagnols sur l’esprit des Indiens. Sans savoir précisément quel danger les menace, ils s’étonnent, s’inquiètent ; leurs amours, leurs haines, leurs rivalités, tout est suspendu : ils semblent pressentir qu’un grand événement s’accomplit.

Parmi les beaux détails qui abondent dans cet ouvrage, je n’en citerai qu’un seul. Lorsque, au début de la pièce, Colomb parle à son frère du trésorier Quintanilla, un des hommes remarquables de l’époque, et le seul jusque-là qui ait ajouté foi à son projet : « Les grands hommes, dit-il, croient aisément aux grandes choses. » Comme cela est profondément vrai, surtout dans la bouche de Colomb ! et comme cette noble pensée devait enchanter l’orgueil espagnol !

Quelques critiques chagrins blâmeront peut-être certains épisodes qui ont un caractère plutôt épique que dramatique. C’était l’inconvénient du sujet. Aurait-il mieux valu que Lope se fût abstenu de le traiter ?

M. Lemercier a donné au théâtre, il y a environ trente ans, une pièce intitulée Christophe Colomb, mais qui n’a aucun rapport avec celle de Lope. Les deux ouvrages procèdent d’idées tout à fait différentes : l’un respire l’enthousiasme et la foi, l’autre est une comédie satirique.

La Découverte du nouveau monde est citée dans le catalogue du Peregrino, et par conséquent antérieure à 1603.