Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Lope dit, sire, qu’il a servi votre aïeul de son épée en Angleterre. Il ne fit rien de bon alors, et a fait moins encore depuis ; mais il avait du zèle et du courage.

» Il a servi votre père de sa plume. Si elle n’a pas étendu son vol pour porter les louanges de ce prince d’un bout du monde à l’autre, c’est la faute de son peu de mérite, mais non de son désir de servir son roi.

» Lope a une fille et beaucoup d’années. Les Muses lui ont donné de l’honneur et non des rentes ; il est pauvre en actif, riche en passif. Dieu crée, le soleil fait croître, le roi soutient. Créez-moi, augmentez-moi, réparez mes maux ; je suis en marché d’un fiancé.

» La fortune me menace, la foi seule me reste. Donnez-moi, grand Philippe, une part dans vos richesses, et puissiez-vous avoir plus d’or et de diamants que je n’ai de rimes à mon service ! »

Il était impossible d’implorer l’assistance d’un roi avec plus de dignité et de noblesse ; et malgré le mauvais état où se trouvaient dès lors les finances d’Espagne, on aime à croire que Philippe IV donna généreusement de quoi doter la fille du poëte.

Après s’être séparé de Marcela et de ses enfants, Lope se sépara de la comédie. Il fut pris de quelques scrupules, un peu tardifs, et rompit avec elle. Il y avait quarante années qu’il travaillait pour le théâtre (1630).

Il n’avait d’ailleurs rien perdu de sa facilité ni de sa verve, et voici un trait qui montre ce qu’était cette puissante vieillesse. Le narrateur est Montalvan. Ils faisaient ensemble une comédie intitulée le Tiers-ordre de Saint-François. Ils devaient écrire chacun un acte et s’étaient partagé le troisième. Chacun d’eux fit son acte le premier jour. Le lendemain, Montalvan voulant devancer son vieux maître, se lève à deux heures du matin, travaille à la hâte, et à dix heures il a fini. Aussitôt triomphant il court chez Lope. Il le trouve dans son jardin, occupé à émonder un oranger qui avait souffert de la gelée : « Eh bien ! s’écrie Montalvan tout joyeux, j’ai fini mon demi-acte. — Et moi le mien, dit Lope froidement. — Et quand donc ? reprend Montalvan étonné. — À quoi le vieux poëte : Je me suis levé à cinq heures et j’ai fait ma tâche ; puis, comme il était encore de bonne heure, j’ai écrit une épître en cin-