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JOURNÉE DEUXIÈME.



Scène I.

Une chambre dans le château de don Tello.


Entrent DON TELLO et ELVIRE.
Elvire.

À quoi bon, seigneur, me tourmenter et me persécuter ainsi ? Ne voyez-vous pas que j’ai de l’honneur, et que tous vos efforts ne servent qu’à nous fatiguer tous deux dans cette pénible lutte ?

Tello.

Pourquoi donc être si cruelle ? Tu veux donc ma mort ?

Elvire.

Daignez, don Tello, me rendre à Sanche, à mon époux.

Tello.

Il n’est point ton époux, et quel que soit son bonheur, un vilain n’est pas digne de posséder tant de charmes. Mais alors même que je serais Sanche, et que Sanche serait don Tello, comment pourrais-tu être si insensible, et me traiter aussi mal ? Ne vois-tu donc pas que c’est l’amour, l’amour seul qui m’inspire ?

Elvire.

Non, non, seigneur ! car l’amour qui manque de respect à la vertu n’est plus qu’un goût grossier, un appétit brutal qui ne mérite point un pareil nom ; l’amour est l’union de deux volontés, de deux sympathies, et une passion malhonnête n’a jamais été ni ne peut être de l’amour.

Tello.

Quoi ! ce que j’éprouve pour toi ne serait point de l’amour ?

Elvire.

Nullement. Songez-y, don Tello, c’est d’hier seulement que vous m’avez vue pour la première fois, et déjà vous m’aimeriez ? Vous m’aimeriez alors que vous n’avez pas même eu le temps de considérer qui je suis ? L’amour naît d’un vif désir, et peu à peu il va s’augmentant par l’espérance et les faveurs jusqu’à ce qu’il ait atteint son but. Vous, seigneur, vous ne m’aimez point. Tout ce que vous voulez, c’est m’ôter cet honneur, mon seul bien et ma vie ; tout ce que vous voulez, c’est ma honte, et je dois me défendre.

Tello.

Puisque tu te défends avec ton intelligence aussi bien qu’avec ton bras, écoute, raisonnons.