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LE MEILLEUR ALCADE EST LE ROI.

(EL MEJOR ALCALDE EL REY.)




NOTICE.


Dans l’ancienne constitution municipale de l’Espagne, l’alcade (alcalde) était à la fois maire, juge de paix, juge de première instance au civil et au criminel. Ici, en disant que le roi est le meilleur des alcades, le poëte veut dire seulement que pour faire justice, pour la faire prompte et complète, le meilleur des juges c’est le roi.

À la fin de sa comédie, Lope annonce que cette pièce est historique et qu’il en a emprunté l’argument à la quatrième partie de la Chronique d’Espagne[1]. Voici, dans sa naïve simplicité, le récit de cette Chronique :

« Cet empereur des Espagnes (Alphonse VII) était grand justicier, et l’on va voir comme il redressait les torts qui avaient lieu dans le pays[2]. Un infançon[3] qui demeurait en Galice, et qui avait nom don Fernand, ayant pris par force à un laboureur son héritage, le laboureur alla se plaindre à l’empereur, qui était pour lors à Tolède. Aussitôt l’empereur écrivit à l’infançon par le moyen du laboureur, afin qu’il eût à restituer à celui-ci ce qu’il lui avait pris. Or l’infançon, quand il vit la lettre, comme il était très-puissant, il se mit en grande colère, et loin de consentir à rien rendre au laboureur, il le menaça, lui disant qu’il le tuerait. Le laboureur voyant qu’il ne pouvait obtenir satisfaction, s’en retourna vers l’empereur avec des lettres des braves-hommes du pays[4] attestant comme quoi l’infançon n’avait rien voulu lui rendre. Or l’empereur apprenant cela, ordonna à deux chevaliers de préparer leurs montures et de le suivre, et il se rendit secrètement avec eux en Galice, sans s’arrêter ni jour ni nuit. Et quand l’empereur fut arrivé à l’endroit qu’habitait l’infançon, il fit appeler le juge suprême du lieu[5], et lui ordonna de lui conter en toute vérité ce qui s’était passé. Et le juge lui dit tout. Et l’empereur, dès qu’il fut instruit de la chose, réunit tous les braves-hommes de l’endroit, alla avec eux jusqu’à l’habitation de l’infançon ; et arrivé qu’il fut à sa porte, il le fit appeler en lui faisant dire que l’empereur l’appelait. En entendant cela, l’infançon eut grand’peur, et il essaya de fuir ; mais il fut arrêté et mené devant l’empereur. Et l’empereur examina toute l’affaire devant les braves-hommes ; et comme l’infançon ne pouvait rien répondre pour sa défense, l’empereur le fit aussitôt pendre devant sa porte, en ordonnant que l’on rendît au laboureur tout son héritage avec les récoltes. »

Quand on aura lu la comédie de Lope, et que l’on pourra la comparer au récit de la chronique, on reconnaîtra chez le poëte, nous n’en doutons pas, un jugement supérieur et un sentiment profond de l’art.

  1. La Chronique générale d’Espagne fut composée au treizième siècle par ordre du roi Alphonse X, surnomme le Savant ou le Sage (el Sabio). C’est la réunion que quelques chroniques particulières qui avaient été composées précédemment.
  2. Le fait dont nous donnons le récit s’est passé vers le milieu du douzième siècle.
  3. Les infançons (infançones) étaient plus que de simples hidalgos.
  4. Les braves hommes (omes buenos) étaient les petits propriétaires d’un endroit.
  5. El merino. C’était à peu près ce qu’était en France un sénéchal de robe longue.