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JOURNÉE III, SCÈNE I.

Frédéric.

Quelle heureuse rencontre !

Tristan.

Ce pauvre Théodore, je le regarde comme mort.

Frédéric.

Comme il a l’air déterminé, ce gaillard !

Le Marquis, Frédéric et Célio sortent.
Tristan.

Il me faut avertir Théodore. Ma foi, tant pis pour les amis et pour le vin de Grèce ! mais c’est le plus pressé. Justement je l’aperçois. Où donc allez-vous, monseigneur ?


Entre THÉODORE.
Théodore.

Hélas ! je l’ignore moi-même. Je suis dans un tel état que je ne sais plus ni ce que je fais, ni quelle force me conduit. Je suis seul, sans idées, dominé par un sentiment unique qui tantôt me dit de lever jusqu’au soleil mon regard audacieux, et tantôt retombe dans un profond découragement. Tu vis hier comment me parla la comtesse : eh bien, aujourd’hui elle est tellement changée, que l’on croirait à peine qu’elle me connaisse, et Marcelle jouit de nouveau de ma disgrâce.

Tristan.

Retournons, je vous prie, à la maison. Je craindrais qu’on nous vît ensemble en ce lieu.

Théodore.

Et pourquoi donc ?

Tristan.

Chemin faisant je vous apprendrai qui en veut à vos jours.

Théodore.

On en veut à mes jours !… Et qui donc ?

Tristan.

Parlez plus bas, et n’ayez pas peur. — Le marquis et le comte m’ont fait des propositions à ce sujet, et tout est convenu entre cous.

Théodore.

Le marquis et le comte !

Tristan.

D’après la vivacité à laquelle la comtesse se laissa aller l’autre jour avec vous, ils soupçonnent qu’elle vous aime ; et me prenant pour un de ces brigands qui ne vivent que d’homicides, ils m’ont acheté votre vie pour trois cents écus, sur lesquels ils m’en ont avancé cinquante en guise d’arrhes. Moi, je leur ai dit que vous m’aviez fait prier d’entrer à votre service, et que dès aujourd’hui j’y entrais afin de pouvoir vous expédier plus à l’aise. Ainsi vous ne risquez rien encore.