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LE CHIEN DU JARDINIER.

Frédéric.

Il me semble que son sang coule.

Ils sortent.
Théodore.

Si ce n’est pas de l’amour, comment donc, amour, faudra-t-il appeler de pareils emportements ? Et si c’est ainsi qu’aiment les grandes dames, je ne les tiens pas pour des femmes, mais pour de véritables furies. — Si votre grandeur vous défend des plaisirs qui sont égaux pour tous les rangs, pourquoi donc, cruelle, vous livrer à une telle fureur ? Pourquoi, sans pitié pour vous-même, vouloir tuer celui que vous aimez ? Main charmante, j’aurais voulu te couvrir de baisers, reconnaissant que j’étais d’un si doux châtiment. Cependant je ne m’attendais pas à le trouver si sévère, et si c’est pour me toucher que tu m’as frappé, toi seule as jamais trouvé du plaisir dans la jalousie.


Entre TRISTAN.
Tristan.

J’arrive toujours après l’événement… comme l’épée du poltron.

Théodore.

Ah ! mon pauvre Tristan !

Tristan.

Qu’est-ce donc, monseigneur ? Il me semble voir du sang sur votre mouchoir ?

Théodore.

Mon Dieu ! oui. C’est la jalousie qui veut faire entrer l’amour de cette manière.

Tristan.

Morbleu ! voilà une jalousie bien ridicule !

Théodore.

Ne t’en étonne pas. Elle est folle, et comme elle n’ose céder à son amour, de peur de se compromettre, elle s’est vengée sur moi des tourments que lui cause ma bonne mine.

Tristan.

Monsieur, que Juana ou Lucie, jalouses, me cherchent querelle, qu’elles déchirent à coups de griffes la collerette dont elles m’ont fait cadeau, qu’elles m’égratignent, qu’elles m’arrachent les cheveux pour savoir si je ne leur ai pas joué quelque tour de ma façon, à la bonne heure, il n’y a rien à dire, et l’on doit s’y attendre avec ces demoiselles. Mais qu’une grande dame se manque à elle-même à ce point, ma foi, je n’en reviens pas.

Théodore.

Que te dirai-je, Tristan ? j’en perds la tête. Tantôt elle m’adore, et tantôt elle me déteste. Elle ne veut pas que je sois à Marcelle, elle ne veut pas que je sois à elle ; et si je m’éloigne, aussitôt la voilà qui cherche un prétexte pour me rappeler. En vérité, c’est le