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JOURNÉE II, SCÈNE III.

La Comtesse, bas, à Anarda.

Des folies que m’inspire l’amour.

Anarda.

Qui donc, madame, aimez-vous ?

La Comtesse.

Quoi ! sotte, ne le voyez-vous pas, tandis qu’il me semble que les pierres de mon palais me le reprochent ?

Théodore.

La lettre est pliée. Il ne manque que la suscription.

La Comtesse.

Pour vous ; et que Marcelle n’en sache rien. Peut-être en lisant cette lettre à loisir, parviendrez-vous à la comprendre.

Elle sort avec Anarda.
Théodore.

Quelle confusion est la mienne ! Que signifient ces retours et ces dédains ? quelle inégalité dans les accès de son amour !


Entre MARCELLE.
Marcelle.

Eh bien, mon ami, que vous a dit la comtesse ?… J’attendais en tremblant dans la pièce voisine.

Théodore.

Elle m’a dit qu’elle voulait vous marier avec Fabio ; et la lettre qu’elle m’a fait écrire, et que voilà, c’est pour envoyer chercher dans ses terres la somme qu’elle destine à votre dot.

Marcelle.

Que m’apprenez-vous ?

Théodore.

Tout ce que je souhaite, c’est que vous soyez heureuse. Je le désire bien vivement, et je regrette d’être obligé de renoncer à vous.

Marcelle.

Écoutez, Théodore…

Théodore.

Je ne puis plus rien entendre.

Il sort.
Marcelle.

Non. ce ne peut pas être là le motif de ce changement. La cause en est sans doute un nouvel espoir que cette folle lui aura donné. Elle s’amuse de lui comme d’un jouet qu’elle relève de terre avec une sorte de prédilection, et qu’elle y rejette ensuite avec dépit[1]. Ingrat Théodore ! dès que sa grandeur te daigne sourire, tu m’oublies : si elle t’aime, tu me laisses ; si elle t’abandonne, tu reviens à moi ! — Quel amour, hélas ! pourrait tenir contre une semblable conduite ?

  1. Littéralement : « Il me représente le seau d’une roue à pot, lequel se remplit lorsqu’il est en bas, et se vide quand il s’élève. »